Opéras Les Mamelles de Tirésias à Limoges
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Les Mamelles de Tirésias à Limoges

24/05/2025
Jean-Christophe Lanièce et Marc Scoffoni. © Steve Barek

Opéra, 13 mai

Créée à Paris (Montmartre) en juin 1917, la pièce Les Mamelles de Tirésias aurait dû être accompagnée d’une musique de Satie et d’Auric, tous deux sollicités par Apollinaire. À la fois burlesque et provocateur, sous couvert d’un vernis sans queue ni tête d’esprit dadaïste, le texte s’avère profondément politique, ridiculisant aussi bien les femmes émancipées (soldate, artiste, députée, mathématicienne…) que la société qui leur assigne le rôle de procréatrices. Si le Tout-Paris artistique assista à la première, l’œuvre devait devenir un « opéra-bouffe » quelque trente ans plus tard, créé à l’Opéra-Comique de Paris le 3 juin 1947. Bien que l’accueil fut mouvementé – partager l’affiche avec La Bohème de Puccini n’est pas aisé ! –, ces Mamelles signées Poulenc obtinrent aux cours des décennies suivantes un succès mérité, tant en France qu’à l’étranger.

Distingué jusque-là dans le répertoire baroque comme contre-ténor et danseur, Théophile Alexandre, qui règle seul sa seconde mise en scène, confirme un talent tous azimuts. Une bonne idée que de réintégrer l’Impromptu surréaliste pour piano seul qui précédait la création en 1917, signé de la compositrice Germaine Albert-Birot, interprété dans le foyer du théâtre par la pianiste Elisabeth Brusselle et les danseurs Lucille Mansas et Dimitri Mager, tout de noir vêtus  – pantomime pleine d’esprit que l’on retrouvera ensuite tout du long du spectacle sur la scène de l’Opéra.

La comédie loufoque de Poulenc s’ouvre sur un prologue pince-sans-rire où il est dit, dans l’esprit d’un bateleur de cirque : « Écoutez, ô Français, la leçon de la guerre, et faites des enfants, vous qui n’en faisiez guère ». Entre en scène la « féministe » Thérèse (la soprano Sheva Téhoval) qui décide de quitter le foyer pour connaître plusieurs carrières réservées aux hommes. Se débarrassant de ses mamelles, elle devient Tirésias et voit son corps se recouvrir d’une forte pilosité. Un canapé dalinien en forme de lèvres, une moustache gigantesque assortie d’un nez doré et un œil surdimensionné lui aussi qui surgit dans la nuit, comme dans un tableau de Max Ernst ou de Magritte : il n’en faut pas plus pour créer une atmosphère fantastique propice à la poésie d’Apollinaire.

Dans la fosse, Samuel Jean trouve le tempo exact, à la fois vif, rapide et élégant, pour diriger une partition qui procède essentiellement du pastiche. À l’instar de Kurt Weill, Poulenc joue de la miniature et de la vignette à partir d’un canevas de danses et d’airs populaires ou religieux. Un rythme basé sur un souffle saccadé que le chef parvient à communiquer à ses instrumentistes comme aux chanteurs. On pardonne bien volontiers à Sheva Téhoval une voix parfois trop timide pour maintenir la fureur de cette cascade d’airs endiablés, heureusement contrebalancée par de redoutables aigus. Avec son fier costume mammaire et sa bobine de clown blanc, le baryton Jean-Christophe Lanièce est un Mari idéal, à la voix bien assise, drôle et spirituel. Quant au baryton Marc Scoffoni, habitué des rôles comiques chez Rossini (Comte Ory, Barbiere di Siviglia) et Donizetti (Don Pasquale, Rita) c’est d’abord un Directeur de théâtre enjoué – le bonimenteur du prologue qui nous promet un spectacle moral où il est question de faire des enfants pour la patrie – puis un Gendarme droit dans ses bottes mais déluré… qui courtise avec ardeur le Mari.

Surprise au cours de l’« entracte » de cette pochade, la chanson Banana Boat (Day O) d’Harry Belafonte qui vient secouer la danse des deux ivrognes, Presto et Lacouf, sur leurs patinettes, tandis qu’à l’acte II, le Mari goûte aux joies de la pater-maternité avec la naissance de ses 40 049 enfants. Péché mignon du compositeur, son écriture chorale sophistiquée trouve dans le Chœur de l’Opéra un interprète zélé qui culmine au final dans la population de Zanzibar rejoignant le couple-vedette réconcilié en une valse langoureuse – Théophile Alexandre et ses interprètes réussissant leur pari d’un spectacle aussi surréaliste que lyrique, et avec toute la finesse requise.

FRANCK MALLET

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