Opéras Mitridate à Madrid
Opéras

Mitridate à Madrid

09/05/2025
Franko Klisović, Franco Fagioli, Sara Blanch, Juan Francisco Gatell, Elsa Dreisig, Marina Monzó et Juan Sancho. © Monika Ritterhaus

Teatro Real, 26 mars

Cette nouvelle production constitue un véritable événement, puisqu’il s’agit de la création de l’œuvre à Madrid dans sa version scénique. Sur le plan structurel, Mitridate, enserré dans le carcan académique de l’opera seria, exclut presque totalement les ensembles (seulement un duo et le chœur final traditionnel) en imposeant une interminable succession d’arias – une vingtaine, certaines durant jusqu’à dix minutes – entourées de longs récitatifs. Comment alors créer du dynamisme, de l’intérêt et de la variété dans des situations aussi prolongées et un schéma aussi répétitif ? Claus Guth opte pour une solution intelligente : un jeu alterné entre deux plans, l’un réel, dans l’intérieur d’une maison, et l’autre onirique et inconscient, construit à partir d’un fond neutre devant lequel évoluent les personnages et des danseurs incarnant des doubles des chanteurs. Le résultat produit des images puissantes et belles, d’un grand impact visuel et émotionnel, qui approfondissent le drame vécu par les personnages dans ce récit de succession, de trahisons, d’amours, de mort et de vengeance. Guth, inspiré par la série Succession, transpose l’histoire dans les années 1960 et met en avant les éléments qui transcendent les distances géographiques et temporelles, devenant des constantes humaines de toute époque.

La partition vocale est extrêmement exigeante pour les solistes. Elle comporte de nombreuses coloratures, de vastes écarts et une virtuosité vertigineuse. Sara Blanch, dans le rôle d’Aspasia – probablement le plus difficile de l’œuvre – brille particulièrement. Dans l’aria explosive « Nel sen mi palpita », elle montre les qualités qui vont marquer toute sa prestation : articulation claire, précision rythmique irréprochable, justesse parfaite et excellent contrôle du souffle. Cette aria constitue la plus intéressante de toute la partition du compositeur salzbourgeois. Elle présente clairement les traits de l’esthétique impétueuse du Sturm und Drang, traduits par une musique agitée, violente et irrésistible.

De même, le rôle de Mitridate est d’une difficulté extrême. En plus de cette exploration insistante du registre aigu de la voix de ténor, les sauts sont constants et atteignent l’intervalle extraordinaire d’une treizième dans « Vado incontro al fato estremo ». Juan Francisco Gatell incarne le rôle avec assurance et maîtrise technique dès « Si de lauri il crine adorno », mais la fatigue se fait sentir au fur et à mesure, avec des aigus étouffés et forcés. Elsa Dreisig, en Sifare, livre une prestation remarquable bien que souvent en léger décalage avec l’orchestre dans les passages les plus virtuoses. Marina Monzó (Ismene) se distingue par un timbre chaleureux aux qualités mozartiennes, mais son interprétation est affaiblie par des problèmes de justesse, audibles notamment dans « In faccia all’oggetto ». De son côté, Franco Fagioli (Farnace) sait habilement conquérir le public bien que son émission, parfois peu claire et projetée, soit souvent noyée dans l’orchestre.

Ivor Bolton dirige avec compétence dans un idiome fidèle au style classique, misant sur l’articulation, la clarté et la précision. Cette approche est renforcée par l’usage d’instruments d’époque, comme une paire de timbales à manivelle, deux trompettes et trois cors naturels. À ce titre, l’intervention sur scène de Jorge Monte de Fez comme cor naturel soliste dans le sublime air de Sifare « Lungi da te, mio bene » est l’un des grands moments de la soirée avec une magnifique cadence entre les deux. Autre sommet, le duo « Se viver non degg’io » entre Sifare et Aspasia, extrêmement brillant et captivant.

L’opéra se termine, selon les conventions du genre, par une brève conclusion chorale réunissant tous les solistes après le dénouement dramatique.

Claus Guth a su créer une image finale fascinante avec tous les personnages réunis autour de l’ombre géante de Mitridate projetée dans le plan métaphysique. Une solution habile et réussie dans un spectacle qui, globalement, s’avère très convaincant.

MIGUEL MORATE-BENITO D’ALTON

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