Opéras Madama Butterfly à Baden-Baden
Opéras

Madama Butterfly à Baden-Baden

29/04/2025
Eleonora Buratto et Teresa Iervolino. © Monika Rittershaus

Festspielhaus, 20 avril

Architectures mouvantes et déluge d’illusions numériques: l’association du metteur en scène Davide Livermore avec les collectifs Giò Forma et D-Wok nous a déjà valu plusieurs étonnantes productions immersives, qui tiennent autant du blockbuster à effets spéciaux que de l’atmosphère dystopique pour gamers. Une esthétique très prisée en Italie, émergente à Monte-Carlo, mais encore inconnue en Allemagne, patrie d’un Regietheater plus cérébral, où cette flamboyante Madama Butterfly du Festival de Pâques de Baden-Baden vient cependant de faire rien moins que sensation.

Il est vrai que cette fois Davide Livermore a réussi à tempérer ses obsessions high-tech par une narration qui reste avant tout linéaire. Certes les murs LED signés D-Wok déroulent une profusion de soleils rouges, de drapeaux étoilés en lambeaux et de papillons numériques multicolores, avalanche visuelle redondante qui frôle la saturation. Certes la maison mobile conçue par Giò Forma avance, recule et tourne beaucoup, présentoir XL pour les kimonos somptueux de Mariana Fracasso, surcharge d’éléments puissamment évocateurs d’un Japon rêvé, mi-estampe, mi-clip, dont on peut s’offusquer. Cela dit, Livermore parvient mieux qu’ailleurs à éviter un kitsch total, en offrant à la fois aux néophytes un spectacle lisible et aux connaisseurs une somme d’images qui frappent au plus juste : cette brutale étreinte de la nuit de noces, déjà complètement assumée par un double masqué de Cio-Cio-San dans les bras de Pinkerton, alors même que le duo atteint son paroxysme de lyrisme, cette maisonnette qui se referme en cage translucide au III, ou ce drapeau américain souillé qui s’abat comme un linceul sur le corps de l’héroïne… Des moments d’une inoubliable intensité.

S’ajoute une temporalité particulière : le fils de Cio-Cio-San, devenu adulte, revient sur les lieux du drame, relançant l’action en flashback. Avec l’aide de Suzuki vieillie, il découvre les souvenirs de sa mère, la scène reculant comme un film qui se rembobine. Ce qui pourrait paraître un simple ajout superficiel – les figurants d’un présent arbitrairement situé en 1978 coexistant sur le plateau avec les chanteurs du passé – fonctionne en définitive plutôt bien, en voilant l’ensemble d’un sensible nimbe de nostalgie supplémentaire.

Et puis, de toute façon, profusion d’images ou pas, les murs LED peuvent toujours flamber, la véritable braise couve dans la fosse, où ce sont bien les Berliner Philharmoniker et Kirill Petrenko qui impriment à la soirée sa pulsation constamment urgente, sa somptueuse respiration, voire ses coups de poignard émotionnels. Un orchestre protagoniste, dont chaque intervention, même la plus discrète et dépouillée, s’écoute comme une sublime phrase de musique de chambre, et qui sait aussi rugir jusqu’à l’insoutenable.

Portée par ce véritable coussin d’air, qui épouse chaque rubato vocal, la distribution apparaît transfigurée. Tosca quelconque à Munich l’an dernier, Eleonora Buratto, mieux dirigée, se révèle une Cio-Cio-San de rêve, avec pourtant les mêmes moyens, un rien altérés déjà, mais une technique solide et un timbre aux ressources insoupçonnées. De son innocence initiale jusqu’à une détermination d’acier, le personnage s’éveille progressivement. Filé piano sur le souffle, « Un bel dì vedremo » se lève comme une prière fragile, jusqu’au vertige. Au suicide, la voix se réduit à un fil, qui arrache des larmes. Une poignante anthologie de lyrisme puccinien! Moyens solaires et regard de velours, Jonathan Tetelman incarne un Pinkerton dont la beauté vocale insolente rend le personnage encore plus odieux. Teresa Iervolino, Suzuki bouleversante de compassion contenue, Tassis Christoyannis, attachant Sharpless dont la ductile voix de baryton commence à grisonner, Didier Pieri, insidieux Goro, Aksel Daveyan, élégant Yamadori, Giorgi Chelidze, bonze de cauchemar, complètent cette distribution d’un luxe véritablement festivalier, constamment sous l’emprise d’un chef qui ne laisse pas la moindre intonation au hasard. Avant leur retour au Festival de Pâques de Salzbourg, au moins pour les cinq prochaines années, cet ultime cadeau de Kirill Petrenko et des Berliner Philharmoniker au public du Festspielhaus de Baden-Baden avait tout d’une apothéose.

LAURENT BARTHEL

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