En septembre 1675, au cœur de la cathédrale d’Uppsala, la musique accompagne l’accession au trône de Charles XI, donnant à la cérémonie de couronnement une dimension sonore aussi politique que symbolique. Véritable mise en scène du pouvoir, cette célébration sonore marque l’émergence d’une cour où la musique occupe désormais une place stratégique. À l’image de Louis XIV, Roi-Soleil, dont il admire le modèle, Charles XI, Soleil du Nord, entend lui aussi faire rayonner son autorité par les arts, et notamment par un langage musical riche, ambitieux et tourné vers l’Europe. Sous l’impulsion de Gustav Düben, maître de chapelle et figure centrale de la vie musicale suédoise, la cour de Stockholm devient alors un foyer artistique d’une rare ouverture.
À la différence de la France, qui érige un style national en étendard, la Suède cultive une esthétique transfrontalière : elle accueille compositeurs et instrumentistes venus d’Italie, d’Allemagne et de France, en perpétuant l’élan cosmopolite insufflé par la reine Christine. Le répertoire de la chapelle royale reflète cette hybridité : motets de style luthérien, italien et français… un kaléidoscope d’influences savamment orchestrées. La précieuse collection de manuscrits réunie par Düben témoigne de cette richesse : on y retrouve des œuvres de maîtres comme Tunder, Pohle, Peranda, Albrici ou Johann Christoph Bach. C’est dans cet esprit d’exploration que s’inscrit l’album Northern Light, conçu par Lucile Richardot et Sébastien Daucé à la tête de l’ensemble Correspondances. Après le sublime Perpetual Night, dédié au répertoire anglais, ils ouvrent ici une nouvelle fenêtre sur le Nord baroque, avec un programme consacré à des œuvres germano-suédoises autour du thème de la fin de l’existence.
L’interprétation met en valeur la rhétorique musicale, les contrastes expressifs et la subtilité des timbres. Le choix des pièces révèle une volonté de faire entendre des pages du XVIIe siècle, certes moins connues, mais tout aussi fascinantes, entre intériorité luthérienne, expressivité italienne et héritage polyphonique. Parmi les merveilles savamment compilées par le tandem Richardot/Daucé, on reste tout particulièrement ému par la supplique pleine de dévotion « Herr, wenn ich nur dich habe » de David Pohle -(1624-1695), les mélismes indolents de « O Jesu mi dulcissime » de Giuseppe Peranda -(1625-1675), l’inquiétude pensive « Cogita, o homo » de Vincenzo Albrici -(1631-1696), l’hypnotique « Ach, dass ich Wassers g’nug hätte » de Johann Christoph Bach -(1642-1703) ou encore la poignante lamentation « Das Klagende Schweden-Reich » de Johann Fischer -(1646-1716/17). Chacune des pièces conjugue de fait une expressivité vocale et un raffinement instrumental simplement -exceptionnels. Captivant dans ses moindres inflexions, le timbre ductile et singulier de Lucile Richardot fait, une fois encore, merveille sur ces miniatures doloristes. Conscient des dispositions expressives inouïes de son interprète, Sébastien Daucé tisse avec l’aide de ses musiciens un tapis sonore d’une intense sobriété en laissant la beauté de cette musique parler d’elle-même. Un miracle d’éloquence.
CYRIL MAZIN
1 CD Harmonia Mundi HMM 905 368