Opéras La Fille du régiment à Versailles
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La Fille du régiment à Versailles

07/04/2025
© Julien Benhamou

Opéra Royal, 4 avril

Triomphe à cette première de La Fille du régiment, affichée pour cinq soirs à Versailles. Il faut dire qu’avec la mise en scène de Jean-Romain Vesperini, respectant littéralement l’époque (des campagnes napoléoniennes) et le lieu (le Tyrol) du livret, dans d’élégants – bien que peu originaux – costumes de Christian Lacroix, et des décors utilisant au mieux la réserve de toiles peintes de l’Opéra Royal et du CMBV, le spectateur ne risque pas d’être choqué ni perdu, le tout étant marqué d’une bonne humeur de convention, entre opérette à papa et « Au théâtre ce soir ». 

Personne ne fait dans la dentelle, à commencer par Gaétan Jarry qui dirige avec énergie et force mouvements de bras un Orchestre de l’Opéra Royal stylé, mais pas toujours à l’abri de quelques dérapages, notamment d’intonation. On eût par exemple aimé meilleure justesse dans le sublime solo de cor anglais du « Il faut partir », le violoncelle dans « Par le rang et par l’opulence » et le violon de la valse tyrolienne du II n’étant pas non plus absolument impeccables. L’Ouverture et les multiples « Rantanplan » sont enlevés avec panache, quoiqu’un peu trop tonitruants peut-être, mais dans cette partition hybride où les pièces martiales côtoient le style opéra-comique et le bel canto, le chef français ne trouve pas le ton intime de certaines pages. L’on ne peut s’empêcher de penser que cet artiste, à qui l’on doit de si remarquables réussites dans Charpentier et Rameau à la tête de son ensemble Marguerite Louise, gaspille ici un peu son talent. 

Le Chœur de l’Armée française – dont sort l’excellent baryton Jérémie Delvert pour le bref solo du caporal –, complété par les voix de femmes de celui de l’Opéra Royal, s’en donne à cœur joie, tant vocalement que scéniquement. 

Flore Royer et Attila Varga-Tóth, de l’Académie de l’Opéra Royal, jouent un peu les utilités, et Jean-Gabriel Saint-Martin, dont on connaît la valeur, est sous-employé en Hortensius. Éléonore Pancrazi en fait des tonnes en Marquise de Berkenfield, avec beaucoup de savoir-faire, mais son mezzo léger n’est sans doute pas assez grave ni sonore pour totalement convaincre dans ses couplets initiaux, sur un orchestre il est vrai déchaîné. Tout aussi savoureux est le Sulpice de Jean-François Lapointe, avec un baryton mordant et brillant. Le couple d’amoureux est charmant, avec des qualités et des limites similaires. 

Patrick Kabongo campe un Tonio un peu benêt, de son ténor aigu clair et facile, mais assez monochrome. Il délivre évidemment les ut du fameux « Ah mes amis ! », depuis longtemps son cheval de bataille, avec aisance (presque trop), sinon toute l’expression bravache requise, mais demeure en surface de l’émotion, avec des mots insuffisamment investis et caressés, dans « Pour me rapprocher de Marie ». Quel dommage de donner cet air dans la version traditionnelle, et non dans sa forme originale, tellement plus intéressante, d’aria con pertichini (avec répliques d’autres chanteurs), pourtant restituée par l’édition critique Ricordi de 2021 ! Au moins le ténor français est-il légitime en ce rôle, bien plus qu’en Edgard de Lucie de Lammermoor, imprudemment abordé à Bergame en 2023.

Quant à la pétulante Marie de Gwendoline Blondeel, elle montre une vivacité en scène et une fraîcheur bienvenues, voix facile de soprano léger, toutefois un rien agressive dans les nombreux suraigus interpolés, et d’une justesse pas toujours parfaite. Mais c’est surtout le versant introspectif qui fait défaut, dans les romances « Il faut partir » et « Par le rang… » qui devraient nous faire soudain basculer de la farce au sublime. Il faut dire que la production n’invite guère à la subtilité, jusqu’à ce final ajouté où tous enchaînent abruptement une Marseillaise tonitruante, tandis que surgit le metteur en scène en Napoléon. Succès – un peu facile – assuré, même si l’on sait que l’Empereur ne goûtait guère cet hymne, préférant lui substituer La Marche consulaire ou encore Veillons au salut de l’Empire.

THIERRY GUYENNE

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