Théâtre du Capitole, 28 mars
Nous ne reviendrons pas sur cette production d’Anne Delbée, dont les limites dûment soulignées par Pierre Cadars et Richard Martet (voir O. M. n° 155 p. 61 de novembre 2019 et O. M. n° 207 p. 52 de novembre 2024) n’empêchent heureusement pas de goûter la puissance de l’œuvre. Remplaçant Hervé Niquet initialement prévu, José Miguel Pérez-Sierra montre un savoir-faire appréciable, et si l’Ouverture est un peu brutale, le chef espagnol fait preuve ailleurs d’un beau sens de la nuance et du coloris. Les neuf dates (toutes à guichets fermés, le 5 avril ayant même été rajouté in extremis vu le succès !) permettaient d’entendre deux distributions différentes pour les quatre personnages principaux, entourés de la charmante Clotilde d’Anna Oniani et de l’excellent Flavio de Léo Vermot-Desroches, avec en alternance les Norma de Karine Deshayes – sa quatrième série en moins d’un an ! – et Claudia Pavone.
La seconde distribution nous frappe par le choix de voix imposantes, à commencer par l’Oroveso plein d’autorité d’Adolfo Corrado, basse riche et enveloppante, mais bien accrochée dans l’aigu. Le fort ténor géorgien Mikheil Sheshaberidze déploie également un instrument de bronze, avec un « Meco all’altar » vigoureux, mais écrêté de ses ut : un Pollione efficace, mais brut de décoffrage, et dont le manque de souplesse et de subtilité finit par lasser. Eugénie Joneau, qui avait déjà abordé Adalgisa en concert sous la direction de Riccardo Muti, plie avec discipline son mezzo somptueux et considérable à la ligne bellinienne, mais n’évoque que de loin, tant physiquement que vocalement, une frêle jeune fille, ce chant surveillé manquant de sfumato et de clair-obscur.
En prise de rôle, la Norma de Claudia Pavone est une révélation, déjà d’une étonnante maturité. Belle et noble en scène, diseuse formidable et sensible, la soprano italienne montre une admirable endurance grâce à une remarquable intelligence technique. Ductile à souhait, cette voix lyrique est, sans être immense, capable d’ampleur dans l’aigu et de densité dans le médium et le grave (« In mia man alfin tu sei »), avec ce qu’il faut de métal aux moments clés (« Oh non tremare, o perfido »). Elle habite sans faillir le cantabile extatique de « Casta diva », aux abellimenti impeccables, et sait aussi surprendre par de soudains et magnifiques allègements, de magiques sons filés (« Son io ! ») comme par des variations hardies (reprise du « Ah ! Bello a me ritorna »). A posteriori, sa contre-performance en Cleopatra haendelienne, il y a à peine un mois, avec notamment une justesse problématique (voir O. M. n° 211 p. 66 d’avril 2025), s’explique sans doute par une gêne à l’égard du diapason 415. Une grande Norma, qui ne pourra que se bonifier encore.
THIERRY GUYENNE