Opéras Les Pêcheurs de perles à Dijon
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Les Pêcheurs de perles à Dijon

27/03/2025
Philippe-Nicolas Martin, Hélène Carpentier et Julien Dran. © Opéra de Dijon/Mirco Magliocca

AuditOrium, 19 mars 

Pour ces Pêcheurs de perles présentés par l’Opéra de Dijon en coproduction avec Toulon, Mirabelle Ordinaire a été frappée par le fait que Bizet, qui n’a pratiquement jamais quitté Paris, ait pu convoquer, pour ses deux chefs-d’œuvre lyriques, aussi bien les moiteurs ceylanaises que l’âpreté ibérique. Elle a donc imaginé que le jeune compositeur rêve ici toute l’histoire depuis son appartement parisien, dont les fenêtres donnent sur le Palais Garnier en construction : une rêverie éveillée où les ouvriers deviennent pêcheurs, et la femme d’un panneau publicitaire, la belle Leïla. Cela nous vaut un décor unique d’échafaudages et une bande-son, au début de chaque acte, où le fracas des outils et des calèches se mêle au mugissement de la mer et aux cris d’oiseaux. Idée intéressante, mais pas très compréhensible si l’on n’a pas lu la note d’intention, et posant maints problèmes dramaturgiques. Ainsi, Bizet en robe de chambre à son piano devient soudainement Zurga, en se glissant comme il le peut dans l’intrigue, avec des motivations peu claires – un créateur peut-il être jaloux de l’amour entre des personnages qu’il a lui-même créés ? – et un dénouement problématique, car refermant mal les portes du rêve. Par ailleurs, si les élégants mouvements des trois acrobates ajoutés s’intègrent avec fluidité à de jolis tableaux, magnifiés par de beaux effets de lumière, mettre seuls Zurga et Nadir en costumes occidentaux XIXe, au milieu de tous les autres habillés à l’orientale, crée un antagonisme ethnique absent du livret, gênant par sa connotation colonialiste. 

Cela dit, cette lecture ne fait à aucun moment obstacle à la musique, d’autant que le spectacle donné sans entracte permet à Pierre Dumoussaud de tendre l’arc dramatique de la soirée avec une autorité qui n’exclut en rien la subtilité. Sans jamais céder au tonitruant, il sait mener à l’incandescence l’excellent Orchestre Dijon Bourgogne, tout en se montrant capable de le ramener au murmure pour les pages de grande intimité. La Romance de Nadir exhale ainsi toute sa poésie sur un somptueux tapis de cordes au délicat contrepoint de vents, en un tendre balancement qui jamais ne s’alanguit. Très sollicités, les chœurs sonnent magnifiquement dans un français très intelligible, qui fait d’autant plus regretter quelques omissions de liaisons (comme « sang/infâme »). Le plateau réuni est de qualité, chacun montrant également une excellente diction et les moyens de son rôle. 

Bonne basse à la gestuelle stylisée et aisée, Nathanaël Tavernier convainc en Nourabad, même si, à la fin du II, la phrase « Ah ! La foudre en éclats va tomber » manque d’ampleur et de brillant sur l’orchestre déchaîné. Bien que malades, le ténor et le baryton ont assuré de façon méritoire. Julien Dran est même un splendide Nadir, dont la prestance va de pair avec un chant admirablement châtié, aux demi-teintes enchanteresses et au frémissement à fleur de mots dans la Romance, mais sans jamais rien de mièvre, et qui sait aussi conférer aux passages plus dramatiques une vigueur très virile. 

Philippe-Nicolas Martin paraît moins à l’aise dans sa position ambiguë, où il doit à la fois être témoin de l’action en Bizet, et pleinement acteur du drame en Zurga, avec un instrument solide, mais sans doute un peu amorti par la laryngite. C’est particulièrement audible dans son duo avec Leïla, où il est trop souvent couvert dans le grave. Il faut dire qu’Hélène Carpentier, bien que sachant ses collègues souffrants, ne se montre guère mesurée, trop souvent toutes voiles dehors, dessinant une héroïne volontaire au chant très sûr, mais non sans dureté dans l’aigu. Elle serait sans doute plus à sa place en Micaëla de Carmen ou Marguerite de Faust, et si les virtuosités du premier air (« Ô Dieu Brahma ») sont assumées, cela manque de légèreté comme de charme et de mystère, avec un trille conclusif se muant en trémolo.

THIERRY GUYENNE

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