Opéras Lucrezia Borgia à Rome
Opéras

Lucrezia Borgia à Rome

26/02/2025
Alex Esposito, Enea Scala et Lidia Fridman. © Opera di Roma/Fabrizio Sansoni

Teatro dell’Opera, 21 février

Un monstre que la maternité rend émouvant : ainsi Victor Hugo conçoit-il « sa » Lucrèce Borgia. Une monstruosité à peine atténuée dans l’adaptation de Felice Romani pour l’opéra de Donizetti (1833), où la duchesse de Ferrare n’en reste pas moins une figure machiavélique. Chercher à la réhabiliter, fût-ce au nom de la vérité historique, reviendrait à dénaturer le drame.

Valentina Carrasco évite le piège dans sa nouvelle production au Teatro dell’Opera de Rome. Ici, le caractère sulfureux de Lucrezia est pleinement assumé, voire exacerbé : femme implacable et cynique, dissimulant son visage par calcul, capable de toutes les ruses pour manipuler le duc, avant de le menacer ouvertement. Vengeresse impitoyable, elle pousse le sadisme jusqu’à graver au couteau les lettres du nom Borgia sur le dos de prisonniers enchaînés. Seul son instinct maternel – cet enfant qu’on lui arrache durant le prélude et qui revient vers elle à la toute fin – fissure sa carapace de fer. Pas de victimisation ni d’angélisme : l’ambiguïté est sauve. Tout comme la tension dramatique qu’exalte un jeu d’acteur réglé au cordeau, avec un sommet de violence psychologique, lors du duo Lucrezia-Alfonso, à faire pâlir les Macbeth.

Mais la noirceur du propos n’exclut pas un certain raffinement esthétique. Écrin idéal pour la lisibilité des personnages et leur force expressive, le décor oscille entre épure et stylisation : des rideaux mouvants, quelques meubles et objets pour les scènes d’intérieur – dont un portrait de Lucrezia – et des éléments symboliques, tel ce masque géant dominant la scène. Des masques – parfois bifrons – couvrent aussi les visages des acteurs au long du spectacle, image de la duplicité et des secrets que chacun possède. De quoi captiver le regard sans parasiter l’émotion.

La partie musicale n’est pas en reste, portée par une remarquable cohésion des voix, des chœurs, exemplaires de mordant et d’homogénéité, aux nombreux comprimari parfaitement assortis. La direction vivante et équilibrée de Roberto Abbado exalte l’énergie d’une partition si incandescente, avec sensibilité et variété de ton. Le chef italien peut aussi compter sur des premiers rôles solides, bien que parfois en deçà des exigences stylistiques du bel canto. Alex Esposito, en particulier, a tendance à en faire trop dans sa fougue de monarque tonitruant et impérieux : un Alfonso certes puissant et autoritaire, mais cruellement dépourvu de noblesse.

Quant au Gennaro d’Enea Scala, c’est plutôt le charme et la subtilité qui lui font défaut. Projection puissante et souffle inépuisable ne compensent qu’en partie une palette limitée, avec une émission stentorienne et une expression constamment fiévreuse. Ce qui se ressent moins dans la plainte finale « Madre, se ognor lontano », poignante de désespoir, que dans l’air « Anch’io provai le tenere » (intégré au début du II, selon l’édition critique retenue pour cette production), où l’on souhaiterait davantage de poésie.

Et si le Maffio Orsini de Daniela Mack peine à faire résonner le registre grave malgré son aisance scénique, c’est la protagoniste qui parvient à brûler les planches. Timbre sombre, corsé, dramatique, seulement terni par une pointe d’acidité de l’aigu, la jeune Lidia Fridman déploie une souplesse d’émission et une agilité dans les coloratures, en plus d’une diction mordante et d’une présence magnétique, qui lui permettent d’affronter crânement le rôle-titre, jusqu’au grand air final (« Era desso il figlio mio »). Il ne lui reste qu’à enrichir les nuances et à mieux souder les registres pour rendre encore plus crédible le double visage de cette héroïne à la fois cruelle et attachante.

PAOLO PIRO

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