Opéra Royal, 21 janvier
En ouverture de l’année Bizet, l’Opéra Royal de Versailles accueille la surprenante production due à l’approche historiquement documentée du Palazzetto Bru Zane. Nous avons rendu compte de la représentation rouennaise (voir O. M. n° 197 p. 83 de novembre 2023) et du Livre-DVD qui en restitue la captation filmée (voir O. M. n° 208 p. 96 de décembre-janvier). Une nouvelle distribution confirme la réussite de l’entreprise. Comment ne pas admirer la scénographie, imaginée autant que restituée, par Antoine Fontaine au moyen de toiles peintes en trompe-l’œil ? Comment ne pas apprécier que l’invective « Va-t’en donc, canari ! » s’applique avec pertinence à l’uniforme du brigadier déchu ? La beauté des costumes, reconstitués par Christian Lacroix, et les subtiles lumières d’Hervé Gary, tour à tour goyesques et picaresques, enchantent. La progression dramatique doit beaucoup à la direction incisive d’Hervé Niquet, même s’il place, comme à son habitude, la petite harmonie derrière lui. Les instruments dits « d’époque » répondent plus ou moins juste, mais les entractes font rêver. Le Chœur de l’Opéra Royal et le Chœur d’Enfants Jean-Philippe Rameau jouent et chantent avec conviction.
La distribution réunit la fine fleur du chant français, très heureusement appariée. Eléonore Pancrazi compose une Carmen inédite, toute d’intensité et de retenue. L’homogénéité de la voix et la précision de la diction vont de pair avec un phrasé qui rend justice au texte. On n’oubliera pas une « Habanera » détaillée sur le ton de la confidence, une chanson gitane fulgurante, un « Non, tu ne m’aimes pas » glacial, un air des cartes où le tragique s’impose dans la dignité, une scène finale où l’héroïne jette la bague jadis offerte par José en susurrant avec mépris : « Tiens ! ». Kévin Amiel chante délicatement le duo du premier acte avec Vannina Santoni. L’air « La fleur que tu m’avais jetée… » lui donne l’occasion d’un si bémol piano longuement tenu. Vannina Santoni incarne l’évolution du personnage et atteint la grandeur dans son air de la montagne. Alexandre Duhamel, voix de bronze, plastronne et gagne à tout coup. Gwendoline Blondeel et Ambroisine Bré excellent en apportant la touche de comédie au quintette « Nous avons en tête une affaire… » comme au trio des cartes. En Dancaïre et Remendado, Matthieu Walendzik et Attila Varga-Toth ne manquent pas d’entrain. La riche basse de Nicolas Certenais connaît quelques difficultés d’intonation, peut-être induites par l’orchestre. Imposant, Halidou Nombre doit gagner en légèreté pour accéder au baryton de Moralès. Le monde entier attend cette production du chef-d’œuvre retrouvé. Elle sera reprise en tournée au Grand Théâtre de Hong Kong et à l’Opéra de Hanoï.
PATRICE HENRIOT