New National Theatre, 20 novembre
Outre six reprises, une nouvelle production de La sonnambula, présentée en octobre dernier, et la création, en août prochain, de Natasha de Toshio Hosokawa, la saison 2024-2025 du New National Theatre de Tokyo (NNTT) annonçait la première, au Japon, de la version originale française de Guillaume Tell.
Initiative assez intrépide, car l’opéra de Rossini exige des moyens importants et, de la part d’un public peu habitué à de pareils développements, une attention soutenue. Par prudence, toutefois, Kazushi Ono, directeur artistique du NNTT, a décidé de confier les trois rôles principaux à des artistes non japonais, et la mise en scène à Yannis Kokkos.
Ce dernier qui, de son propre aveu, n’aime pas les concepts, a choisi de raconter simplement l’histoire, sans y débusquer un quelconque message, sinon celui du combat des patriotes suisses contre l’oppresseur germanique.
Un immuable décor sylvestre, agrémenté de quelques praticables, dit l’importance que revêt la nature. L’unité du spectacle est, également, assurée par quelques accessoires habilement utilisés, telles ces flèches descendues du ciel, à la manière d’éclairs de métal, pendant l’orage de l’Ouverture, et qu’on retrouvera, plus tard, dans les moments de tension.
La mise en scène ne s’encombre pas de projections, sauf au moment de la tempête, d’où Guillaume Tell sort vainqueur, et à l’extrême fin, quand apparaît un immeuble en ruines, hommage aux victimes de toutes les guerres.
Les personnages accompagnent le déroulement de l’action de gestes prévisibles, la tête entre les mains pour exprimer le désarroi, l’index péremptoire pour dire la détermination. Le comble de l’érotisme est atteint, au moment où Mathilde enlève son manteau rouge et l’étend sur le sol, pour inviter Arnold à s’asseoir à ses côtés.
Les déplacements collectifs sont tout aussi explicites : le chœur lance les bras en avant pour supplier, les mains au ciel pour espérer. On ne compte plus les arbalètes brandies pour appeler au combat, les coups de poing ou de cravache pour simuler la violence politique !
Les ballets comptent pour beaucoup dans l’ouvrage, et l’on sait gré à Kazushi Ono et Yannis Kokkos de n’avoir pas cédé à la tentation de les couper, d’autant que l’ingénieuse chorégraphie, signée Natalie van Parys, s’intègre à l’action, au point qu’on assiste autant à des danses qu’à d’éloquentes pantomimes.
La distribution est à l’image de la production : robuste. Ainsi, Gezim Myshketa offre un Guillaume Tell tout d’une pièce, à l’aise sur la tessiture, la voix étonnamment sombre pour un baryton. Solide jusqu’au bout, le chanteur albanais donne une tendresse bienvenue à son air « Sois immobile ».
On aurait attendu davantage de nuances de la part de René Barbera, mais le ténor américain incarne son premier Arnold avec une conviction et une efficacité, qui lui font vaincre les nombreuses difficultés du rôle. Et, de tous, c’est lui qui maîtrise le mieux la langue française.
Olga Peretyatko souhaitait, depuis longtemps, aborder Mathilde. C’est, désormais, chose faite. La voix charnue, le chant stylé, elle fait de « Sombre forêt », avec le soutien poétique de l’orchestre, un superbe moment de musique. La soprano russe donne à ses ornements l’épaisseur dramatique qui convient, et se fond dans le très beau trio du IV, sans tirer la couverture à elle.
Les autres rôles sont tenus par des interprètes japonais. On saluera, d’abord, la finesse du ténor Yasuhiro Yamamoto, dans « Accours dans ma nacelle », avec de beaux aigus en voix de tête, émis du lointain de la scène. La basse Taiki Tanaka a tout du père noble, et le baryton Shingo Sudo, tout du guerrier viril. Incarnant les deux « méchants » de l’opéra, la basse Hidekazu Tsumaya et le ténor Toshiaki Murakami articulent assez bien le français, mais s’abandonnent aux pires accents de fureur, ce qui n’est pas nécessaire pour exprimer la férocité.
La mezzo Junko Saito, même si elle tend à poitriner, est une Hedwige pleine de noblesse. Et l’on n’oubliera pas le Jemmy de la soprano Yoko Yasui, qui apporte de belles couleurs et des aigus vibrants dans les ensembles.
Il faut saluer le Chœur du NNTT, remarquable jusqu’au bout, par sa cohésion et son engagement. La netteté de sa diction, bien mise en valeur par l’acoustique très favorable du théâtre, est étonnante.
Dynamique, précise, nuancée, la direction de Kazushi Ono fait chanter les bois et sonner les cors de l’Orchestre Philharmonique de Tokyo – car le NNTT n’a pas de formation propre –, avec un beau sens du relief. Le chef japonais a, manifestement, étudié avec soin les possibilités offertes par le lieu, pour rendre justice au mieux à la partition de Rossini.
Très peu de coupures et une foi affichée en Guillaume Tell : Kazushi Ono s’est donné les moyens de sa réussite !
CHRISTIAN WASSELIN