Salle Wilfrid-Pelletier, 16 novembre
Probable future coqueluche des grandes maisons d’opéra européennes, où elle est encore largement inconnue, Sarah Dufresne, à 30 ans, vient d’être consacrée sur la scène de l’Opéra de Montréal, deux ans après avoir remporté le Deuxième prix, au Concours Musical International de Montréal (CMIM). Le quotidien Le Devoir l’avait, alors, qualifiée de « clone canadien de Sabine Devieilhe ». À en juger par sa prestation dans cette production d’Hamlet, c’est bien à ce niveau que la soprano évolue, désormais.
Couvée par la baguette de Jacques Lacombe et un travail d’une précision remarquable sur le placement, l’éloquence, les couleurs, Sarah Dufresne ne fait pas qu’une démonstration de beau chant en Ophélie ; elle impose une présence et la justesse absolue de son style, dès sa première apparition sur le plateau. Le public montréalais a rarement vu une aura pareille, dans cette salle de trois mille places où, habituellement, tout se perd.
De plus, le metteur en scène Alain Gauthier et son décorateur Frédérick Ouellet gratifient Sarah Dufresne de l’image forte du spectacle. Les roseaux, simulant le bord de l’eau, avec lesquels Ophélie jouait au moment de perdre la raison, forment, en effet, à l’heure de perdre la vie, des ailes d’ange, qui portent cette âme pure sur des nuées.
En programmant Hamlet, l’Opéra de Montréal se range derrière un regain d’intérêt pour cette œuvre, largement constaté sur plusieurs scènes françaises, depuis une dizaine d’années. Le fait de pouvoir compter sur Jacques Lacombe, qui a dirigé l’ouvrage, à Saint-Étienne, en janvier 2022 (voir O. M. n° 180 p. 52 de mars), est un atout précieux pour la production.
Le chef canadien nourrit une estime sincère pour l’orchestration de cette partition, dont il fait ressortir l’éloquence de nombreuses couleurs – dommage, alors, qu’il ait supprimé l’intervention des Deux Fossoyeurs, au dernier acte. Il ne peut pas grand-chose, en revanche, pour donner plus de relief à l’Hamlet d’Elliot Madore.
Par manque de projection – la voix reste verticalement dans le masque –, le baryton canadien se fait dominer dans les ensembles, sans coup férir, ni malice particulière, par le Claudius de Nathan Berg, la Gertrude de Karine Deshayes, ou le Spectre du toujours solide Alain Coulombe. On relève, également, dans la distribution, la forme remarquable et l’aplomb inaccoutumé d’Antoine Bélanger en Laërte.
Alain Gauthier et Frédérick Ouellet œuvrent dans le sens d’un spectacle pragmatique et esthétiquement efficace, avec des systèmes de panneaux qui transforment, rapidement, un château ancien en chambre à coucher ou en salle funéraire.
Il faut, aussi, cette simplicité, ces astuces et cette lisibilité, pour cadrer, sans inutiles volontés d’actualisation, les interactions entre personnages, dans un ouvrage lyrique inconnu au Québec, dont le défi premier aura été d’atteindre un taux de fréquentation assez élevé, pour inciter l’institution à poursuivre la programmation d’opéras français, qui le méritent bien.
CHRISTOPHE HUSS