Teatro Sociale, 16 novembre
Le projet #Donizetti200 consiste à présenter, lors de chaque édition du Festival « Donizetti Opera », un ouvrage composé, exactement, deux siècles plus tôt. Dans le cas de Zoraida di Granata, 1824 est, en réalité, l’année de la seconde création.
La première, deux ans plus tôt, déjà au Teatro Argentina de Rome, avait été bouleversée par la nécessité de remplacer le ténor Amerigo Sbigoli, victime d’une rupture d’anévrisme, dont il devait mourir peu après. Donizetti avait alors adapté, à la hâte, la partie d’Abenamet – le valeureux général, amant de Zoraida et objet de la jalousie d’Almuzir, qui désire celle-ci –, pour la contralto Adelaide Mazzanti, chanteuse d’envergure limitée. Le succès n’en avait pas été moins retentissant.
Pour la reprise de 1824, le compositeur remania l’ouvrage, réécrivant complètement le rôle d’Abenamet, toujours pour contralto, mais, cette fois, taillé aux mesures de la grande Rosmunda Pisaroni, créatrice de Malcolm (La donna del lago), cinq ans plus tôt. Malgré tout, le succès fut moindre.
C’est avec un très grand intérêt que, grâce à l’édition critique d’Edoardo Cavalli, on découvre, dans son intégralité, cette seconde mouture, que l’on ne connaissait, jusqu’alors, que par des extraits, publiés en complément de la version originale, enregistrée par Opera Rara, en 1998.
On mesure l’évolution de l’écriture donizettienne, encore très marquée par le style de son maître Mayr, en 1822, puis beaucoup plus dans le sillage rossinien, en 1824, mais sachant, également, s’en distinguer, notamment dans quelques très beaux ensembles. L’ouvrage est un peu long, mais pour cette recréation, et avec une captation à la clé, une version aussi intégrale que possible s’imposait, évidemment.
Peu appréciée par notre confrère Nicolas Blanmont, lors de sa création, en octobre-novembre 2023 (voir O. M. n° 198 p. 52 de décembre-janvier 2023-2024), au Festival de Wexford, où l’ouvrage était présenté dans la version de 1822, la mise en scène de Bruno Ravella nous a séduit par sa lisibilité, son intelligence, et la qualité de sa direction d’acteurs.
De la distribution réunie à Wexford, seul demeure le Coréen Konu Kim, Almuzir à la voix mordante, qui aime à interpoler, dans ce rôle de « baryténor », quelques cadences suraiguës particulièrement éclatantes.
Face à lui, la soprano tchèque Zuzana Markova offre une touchante Zoraida, au timbre légèrement monochrome, mais d’une musicalité irréprochable et d’une virtuosité scrupuleuse, dans une partie techniquement très exigeante.
Abenamet est, indéniablement, trop grave pour Cecilia Molinari. Malgré cela, la mezzo italienne se montre totalement convaincante dans son personnage, à la fois héroïque et amoureux, avec une vocalisation jubilatoire, notamment dans l’acrobatique rondo final.
Autour d’eux, outre un énergique chœur d’hommes (Accademia Teatro alla Scala), trois élèves de la « Bottega Donizetti » : Tuty Hernandez déploie, en Almanzor, un joli ténor léger, tandis que la soprano Lilla Takacs apporte une juste note compassionnelle à Ines. Mais c’est Valerio Morelli qui, en Ali Zegri, impressionne le plus (à seulement 22 ans !), par une voix de basse d’une projection spectaculaire, avec, en prime, une parfaite colorature.
On aime la direction souple d’Alberto Zanardi, comme les couleurs et la transparence des instruments d’époque de l’orchestre Gli Originali, dans un équilibre toujours naturel avec le plateau.
Une passionnante découverte donizettienne, qui suscitera, on l’espère, des reprises, avec quelques coupures, sans doute, opportunes.
THIERRY GUYENNE