Teatro Donizetti, 15 novembre
Ouvrant la 10e édition du Festival « Donizetti Opera » de Bergame, cette production de Roberto Devereux – ouvrage donné dans sa version originale de 1837, pour Naples, et non dans la révision parisienne de l’année suivante –, est la seule créée in loco.
Stephen Langridge décrit, ainsi, son travail : « Une mise en scène contemporaine dans un univers élisabéthain inventé ». De fait, au-delà de costumes revisités, le décor évoque ces galeries de bois, où prennent place courtisans ou parlementaires, spectateurs d’une reine toujours en représentation, dans une belle esthétique en noir et rouge – le trône, le lit, le sang.
Le spectacle est, par ailleurs, pensé comme une « vanité ». Il souligne, chez la souveraine, l’obsession du temps et de la mort : groupe d’objets (sabliers, etc.), à l’avant-scène, et présence récurrente de crânes ; apparitions régulières d’une marionnette-squelette, qui se livre à un pas de deux funèbre, avec un double de Roberto Devereux… Avouons que cela devient vite assez lourd. Cependant, le vrai problème reste une étonnante absence de direction d’acteurs, particulièrement fâcheuse pour les hommes.
Précise, stylée, attentive à l’équilibre entre la fosse et le plateau, la direction de Riccardo Frizza manque, par endroits, de théâtralité, et surtout de tension, particulièrement dans le trio et le finale du II, puis dans la dernière scène.
La distribution est de haut vol, à une exception près. Côté seconds rôles, la noblesse d’État est représentée par le Cecil très sonore, voire claironnant, de David Astorga, flanqué du Raleigh plus timide d’Ignas Melnikas, encore élève de la « Bottega Donizetti ».
Pour les principaux, il est dommage d’avoir confié Nottingham à Simone Piazzola, voix puissante, mais phrasé sommaire et intonation basse – piètre acteur, de surcroît, d’un impossible histrionisme. Raffaella Lupinacci, incarnant son épouse Sara, montrée ici enceinte de son mari imposé, est autrement à sa place, musicienne soignée, au riche mezzo.
Très attendue, pour ses débuts en Elisabetta, Jessica Pratt fait bien plus que forcer le respect, avec un instrument supérieurement préservé, après de lourdes prises de rôles belliniennes, ces derniers mois, en concert (Beatrice dans Beatrice di Tenda, Alaide dans La straniera).
Si la soprano anglo-australienne se place dans la lignée des voix plutôt légères ayant abordé Elisabetta, elle n’en esquive aucun écueil. Elle affronte, avec probité, les vertigineux écarts de tessiture, avec un médium concentré, à défaut d’être immense, un grave poitriné sans outrance, délivrant, quand il le faut, des coloratures « di forza » et de grands aigus percutants.
L’émission reste fine, jamais grossie, privilégiant les demi-teintes élégiaques, les vocalises délicates, les pianissimi flottants. Certes, Jessica Pratt garde un chant contrôlé, dessinant une souveraine plus pathétique que réellement tragique. Mais les quelques contre-notes, ajoutées avec parcimonie, emportent tout !
L’autre grande leçon de bel canto est offerte par John Osborn. La cavatine « Come un spirto angelico », en particulier, montre un art du cantabile, du clair-obscur, du dosage dynamique et du mélange des registres proprement fabuleux, avant une cabalette (« Bagnato il sen di lagrime ») enlevée avec brio. Sans parler, dans les ensembles, de l’incroyable capacité du ténor américain à, littéralement, absorber les harmoniques de ses partenaires.
Chapeau bas devant ce Roberto Devereux de très haute classe, pouvant, soudain, justifier que l’œuvre porte son nom !
THIERRY GUYENNE