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Les Sentinelles, entre vertus et irrésolution, à Bordeaux

29/11/2024
Anne-Catherine Gillet (A), Noémie Develay-Ressiguier (E), Sylvie Brunet-Grupposo (B) et Camille Schnoor (C). © Frédéric Desmesure

Grand-Théâtre, 14 novembre

Les Sentinelles est un opéra vertueux. Sur le plan de l’empreinte carbone, d’abord.  Comme le précise le programme de salle, il s’agit là de « la troisième production dite «zéro achat» de l’Opéra National de Bordeaux », conçue « à partir d’éléments 100 % recyclés, mais à qualité artistique et scénique inchangée pour le spectateur. »

Mais il s’agit, également, d’un opéra nouveau – commande conjointe de l’Opéra National de Bordeaux, de l’Opéra de Limoges et de l’Opéra-Comique, à Paris –, qui ne se contente pas de recycler le passé, mais, comme l’indique la compositrice franco-espagnole Clara Olivares (née en 1993), « s’inscrit dans un courant résolument contemporain, (…) cherchant à offrir au spectateur une immersion intégrale dans le chemin de vie des quatre protagonistes, le temps d’une soirée. »

Le livret de Chloé Lechat est, lui aussi, délibérément ancré dans son époque. Il met en scène trois personnages féminins, appelés sèchement A, B et C. Habitant sous le même toit, B et C font le constat que leur amour s’effiloche. Quand C rencontre A, l’idée lui vient de proposer à B de tenter une expérience à trois.

Oui, mais voilà : A est mère d’une petite fille, baptisée E – sans qu’on sache pourquoi, D n’existe pas –, obsédée par la vie sentimentale des animaux, et en particulier, par ceux qui vivent harmonieusement en couple. Adolescente précoce, E est suivie par un psychothérapeute. Elle sera la cause de la rupture entre A, B et C.

Sur cette trame, qui met en scène la vie ordinaire – Faut-il prendre des médicaments pour dormir ? Où installer l’armoire à pharmacie ? Quelle place occuper quand on est trois dans le même lit ? –, Clara Olivares a écrit une partition qui se souvient de Debussy, de Ravel, et des minimalistes américains. Une musique de synthèse, si l’on veut, qui se laisse écouter, avec une déclamation lyrique à la manière d’un arioso continu, ponctué de brefs moments parlés.

L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, fermement dirigé par Lucie Leguay, rend, avec efficacité, les interludes plus éloquents que ces longues scènes, où les instruments viennent en renfort des voix.

Le spectacle de Chloé Lechat, la librettiste, se situe dans un appartement. Il s’anime d’images projetées, avec plus ou moins de réussite, sur un écran : des objets (guéridon, téléphone) et des animaux (zèbre, insectes, chats) volent dans l’espace, et l’on retrouve E à plusieurs reprises, figurée sous la forme d’un personnage de dessin animé, en visite chez son psy.

On a même droit, à la fin, à une réminiscence, peut-être involontaire, du générique du film d’Alfred Hitchcock, Vertigo (Sueurs froides, 1958), qui fait pendant à cette réplique, empruntée à Pelléas et Mélisande : « Je ne suis pas heureuse ! »

Les Sentinelles est servi par trois chanteuses, qui mettent tout leur talent dans la balance. Elles représentent, à la fois, trois types vocaux (A est un soprano lyrique, B un mezzo-soprano, C un soprano dramatique), et trois professions : A est libraire, B est architecte d’intérieur, C semble être actrice – c’est elle, en tout cas, qui a les costumes les plus changeants.

Mais c’est à Anne-Catherine Gillet que Clara Olivares, la compositrice, demande le plus, comme si A était la voix principale d’un trio à cordes. Sylvie Brunet-Grupposo, B, et Camille Schnoor, C, s’expriment par rapport à elle, tout en contribuant à l’équilibre du trio : la première, par la solidité de ses notes graves, la seconde, par une certaine virtuosité vocale. Quant à E, la comédienne Noémie Develay-Ressiguier lui donne la vie avec une froideur ironique, toute de distance : c’est elle qui, en réalité, est la sentinelle des trois autres.

Aussi généreusement interprété soit-il, cet opéra laisse l’impression d’un libelle de notre temps, irrésolu et en quête de lui-même, à l’image des sentiments qui animent ses personnages.

CHRISTIAN WASSELIN

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