Opernhaus, 2 novembre
Culminant dans le célèbre monologue, dit « de la peur de la mort », où le protagoniste – un jeune prince victorieux, mais distrait, rêveur, voire somnambule, que sa propension, déjà très romantique, à rester l’esprit ailleurs finit par mettre en mauvaise posture, face au pouvoir militaire – prend enfin conscience, après une période de sidération, qu’il va probablement passer devant un peloton d’exécution, Der Prinz von Homburg n’a pu être créé, en 1821, qu’après la mort de son auteur, Heinrich von Kleist.
Aujourd’hui incontournable en Allemagne, en raison du profil insolite de son personnage principal, la pièce n’a été représentée, au cours du XIXe siècle, que dans des versions plus ou moins expurgées, évitant de mettre trop ouvertement l’accent sur la fragilité psychique de ce dernier.
Qu’est-ce qui a pu déterminer le compositeur allemand Hans Werner Henze (1926-2012), ainsi que sa librettiste Ingeborg Bachmann, à s’intéresser à un sujet aussi typiquement germanique, alors qu’ils s’étaient déjà, tous deux, volontairement exilés en Italie, et ce depuis plusieurs années ? Peut-être, justement, en élaguant beaucoup la pièce et en la recentrant sur ses principaux monologues, une intention délibérée de la transformer en un pamphlet anti-militariste et anti-prussien.
Et puis, aussi, une volonté évidente de stigmatiser la cérébralité de la musique contemporaine dodécaphonique, technique de composition affectée, ici, à tout ce qui, dans le livret, relève de la rigidité du pouvoir étatique. En l’opposant, quand il s’agit d’évoquer rêveries et sentiments amoureux, à un hommage appuyé à la musique italienne la plus hédoniste et mélodique, celle de Rossini, Bellini, voire Verdi…
Une dualité qu’on ne perçoit pas beaucoup dans cette nouvelle production de l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt), où l’orchestre sonne de façon souvent massive, sous la direction de Takeshi Moriuchi. La pâte manque de souplesse et de luminosité, avec une trop grande propension aux tutti agressifs, pour un opéra qui devrait rester bien davantage intimiste, surtout dans cette version destinée à un effectif moins fourni, revue par Henze pour les représentations munichoises de 1992.
On attendait beaucoup, dans le rôle-titre, de Domen Krizaj, sensible titulaire, dans la troupe de Francfort, des barytons Verdi. Malheureusement aphone, il ne fait, ce soir, que mimer son personnage, chanté depuis la coulisse par Robin Adams, dont on avait peu goûté l’incarnation monolitihique, à Stuttgart, en 2019 (en CD chez Capriccio), et qui projette toujours aussi fort ses phrases !
Même défaut pour la soprano Magdalena Hinterdobler en Natalie, et plus ou moins pour toute la distribution, très engagée scéniquement, mais au point de ne plus guère se préoccuper de musicalité. Guère d’agrément, non plus, côté visuel. Le plateau reste vide, avec juste, au fond, un mur contre lequel sont alignés des portants à vêtements et des chaises.
La mise en scène de Jens-Daniel Herzog se limite à travailler sur l’opposition entre les moments de rêve et la brutalité des séquences militaires – ce qui est, certes, logique, mais insuffisant. Quant aux costumes de Johannes Schütz, simili cuir moulant, couleurs primaires acides, et compatibilité très médiocre avec les silhouettes des chanteurs, ils sont d’une assez remarquable laideur.
Rejouer l’un des plus beaux opéras de Henze aujourd’hui, c’est bien, mais rendre correctement justice à Der Prinz von Homburg (Hambourg, 1960) nécessiterait, quand même, de s’y prendre autrement !
LAURENT BARTHEL