O’Reilly Theatre, 31 octobre
Parmi les quinze opéras que Pietro Mascagni fit représenter, après le triomphe de Cavalleria rusticana (Rome, 1890), sans jamais retrouver un succès équivalent, Le maschere occupe une place particulière.
Symboliquement, d’abord, parce que le compositeur voulait explicitement s’inscrire dans une tradition historique italienne, en remettant au goût du jour la commedia dell’arte et, à travers elle, le modèle rossinien d’Il barbiere di Siviglia. Historiquement, ensuite, car l’événement put, un instant, faire espérer à Mascagni que le retour en grâce, tant espéré, était venu : la création, le 17 janvier 1901, eut lieu, simultanément, à Rome, sous sa direction, Gênes, Turin, Milan – avec Enrico Caruso en Florindo, sous la baguette d’Arturo Toscanini –, Venise et Vérone.
Hélas, il semble que ce lancement en grande pompe ait été, avant tout, une opération commerciale de l’éditeur Sonzogno, pour tenter d’asseoir une supériorité de Mascagni sur Puccini. En réalité, le succès fut mitigé ; l’œuvre fut jugée trop longue – le compositeur la réduisit, ultérieurement, de trois à deux heures, mais trop tard –, et elle quitta progressivement l’affiche.
Quelques enregistrements sur le vif, publiés en CD, attestent, certes, de reprises sporadiques en Italie : à Trieste, en 1961, sous la direction de Bruno Bartoletti (Gala) ; à Bologne, en 1988, avec Gianluigi Gelmetti au pupitre (Ricordi/Fonit Cetra) ; à Lecce, en 2001, sous la baguette de Bruno Aprea (Kicco Classic). Mais la production du « Wexford Festival Opera » vient, à point nommé, remettre en évidence ce qui est, probablement, la raison principale de cet insuccès : l’extrême faiblesse du livret.
Un premier auteur ayant décliné le projet, Mascagni fit appel à Luigi Illica, qui avait déjà signé pour lui Iris, en 1898. Mais le cahier de charges de cet opéra italien quintessentiel fut, peut-être, pris un peu trop au pied de la lettre, le poète se contentant d’aligner neuf archétypes de la commedia dell’arte et une situation aussi éculée que rudimentaire. Pantalone veut marier sa fille Rosaura au peu avenant Spaventa, alors qu’elle est déjà éprise de Florindo. Forte du soutien des serviteurs Arlecchino et Colombina, la belle réussira à échapper à l’affreux, et à épouser le bien-aimé.
Mascagni n’en compose pas moins une partition expressive et variée, riche en clins d’œil à Rossini, et dont on dirait même, plus d’une fois, qu’elle pourrait être réutilisée pour un « opera seria ». Le déséquilibre entre cette musique de haut vol et un livret insignifiant ne s’en ressent que davantage.
C’est d’autant plus le cas, ici, que l’impeccable Francesco Cilluffo excelle à restituer chaque éclat de la partition, à la tête d’un orchestre du Festival en bonne forme. Et que la distribution – une solide équipe de jeunes chanteurs, dominée par les deux sopranos, l’éclatante Ioana Constantin Pipelea et la très puissante Lavinia Bini – voue tous ses talents à la défense de l’œuvre.
Stefano Ricci signe une mise en scène sans surprise, transposant l’action dans un centre de thermalisme, dont Pantalone est le propriétaire – ce qui n’est pas sans rappeler une autre référence rossinienne, l’inusable Viaggio a Reims de l’Accademia « Alberto Zedda » de Pesaro. Il y ajoute un quatuor de danseurs et une direction d’acteurs très aboutie, comme pour tenter de gonfler l’action et de la mettre au niveau de la musique. Le fossé n’en reste pas moins palpable.
NICOLAS BLANMONT