Theater aan het Vrijthof, 2 novembre
Rares sont les productions du Château de Barbe-Bleue aussi intenses et épurées, que celle avec laquelle Opera Zuid vient d’ouvrir sa nouvelle saison. Dans sa mise en scène – ou faut-il dire sa mise en espace, vu sa sobriété visuelle ? –, la réalisatrice néerlandaise Kenza Koutchoukali prend le parti d’évacuer toute forme de représentation, même symbolique, et de tout miser sur le jeu des acteurs et la dimension psychologique du texte.
Dans un décor réduit à quelques meubles, deux êtres vont se chercher et se perdre dans le dédale de leur inconscient et de leurs pulsions. Les trésors de Barbe-Bleue ne sont qu’un modeste collier de perles, et son jardin enchanté est un petit bouquet de roses, qu’il tend à Judith avec des airs d’enfant timide et mutin.
De ce qui se cache derrière les sept portes, nous ne verrons rien que ce qu’en dit le texte, car seules comptent, dans cette approche, la vision de Judith et les réactions de Barbe-Bleue, déstabilisé par sa volonté de plonger jusqu’au tréfonds de la psyché masculine et dont se révèlent, au fil des découvertes, les aspects névrotiques, voire carrément bipolaires.
Ces personnages, du reste, ne sont pas des êtres de légende, mais des gens ordinaires. Ils arrivent sur scène par la salle, comme de simples amoureux, prêts à vivre leur histoire. Si drame il y a, il est latent, et se révèle dans l’incompréhension mutuelle et l’absence de dialogue, jusqu’à la séparation finale, très concrète. Judith reprend alors son manteau, un instant arrêtée devant le cadre de porte, et Barbe-Bleue s’installe dans son fauteuil et sa solitude, un whisky à la main.
Avec l’orchestre sur la scène, on aurait pu craindre que les chanteurs ne soient, parfois, absorbés par son importance. Mais la direction de Duncan Ward est un petit miracle de délicatesse, et la sonorité du Philzuid baigne dans une transparence colorée magique, le chef britannique ne faisant jouer toute sa puissance que dans les moments les plus exaltés, sans jamais couvrir les voix.
Il lui revient, également, d’introduire le spectacle, en assumant le Prologue parlé (adapté par le dramaturge Wout van Tongeren), dans un anglais châtié et élégant, créant, ainsi, une parfaite continuité entre la parole et la musique.
Avec sa belle voix de mezzo, longue et charnue, puissante et nuancée, Deirdre Angenent incarne une Judith sensuelle, passionnée jusqu’à l’hystérie, suicidaire, irrésistible. Le Barbe-Bleue très sobre de Thomas Oliemans, dont la fragilité se révèle au fil des scènes, a bien du mal à résister à ses élans amoureux ou colériques. Dans son registre, le baryton est, également, très convaincant.
Le jeu entre les deux chanteurs néerlandais reste captivant de bout en bout. Et l’ensemble crée une vision intime et profondément originale du chef-d’œuvre lyrique de Bartok.
ALFRED CARON