Metropolitan Opera, 30 octobre
Une mise en scène captivante d’Ainadamar d’Osvaldo Golijov (né en 1960) marque la deuxième initiative, en langue espagnole, du Metropolitan Opera de New York, depuis les années 1920. La partition intense, aux textures multiples, du compositeur argentin, qui y incorpore de l’électronique et des caractéristiques du répertoire populaire espagnol, met en musique sa traduction du livret de David Henry Hwang, méditation sur l’art en temps de crise.
En 1969, en Uruguay, où elle s’est réfugiée, il y a plus de trente ans, Margarita Xirgu, muse légendaire et interprète de Federico Garcia Lorca – assassiné par les soldats de Franco, en 1936 –, se prépare à monter, de nouveau, sur scène, dans le rôle de son héroïne révolutionnaire emblématique : Mariana Pineda. Alors que la comédienne transmet son expérience à Nuria, sa jeune élève, elle a des flash-back de ses rencontres avec le poète, et revit ce qu’elle a entendu et imaginé sur sa mort.
Ainadamar se présente comme une pièce rituelle sur la Passion, avec Lorca et Xirgu représentant Jésus et Marie, dans l’imagerie tant verbale que visuelle. Le titre est le nom arabe de la « Fontaine des larmes », près de Grenade, où le poète aurait été exécuté. Créée, sous la forme d’un oratorio, au Festival de Tanglewood, en août 2003, l’œuvre a été révisée pour son passage à la scène, dans un spectacle de Peter Sellars, au Santa Fe Opera, en juillet 2005.
La chorégraphe Deborah Colker a conçu, à l’origine pour le Scottish Opera, cette production dans laquelle tout s’emboîte et contribue à un tout organique – bien qu’elle ait été redimensionnée pour l’immense plateau du Met. Jon Bausor signe des costumes époustouflants. Quant à son décor, il est, en grande partie, composé de rideaux envoûtants, ainsi que des vidéos obsédantes de Tal Rosner. La seule lacune vient de ce que les textes – des déclarations non seulement de Lorca, mais de ses adversaires phalangistes – ne sont pas projetés assez longtemps, pour être lus en entier.
Miguel Harth-Bedoya, déjà au pupitre, à Santa Fe, montre un contrôle impressionnant de l’orchestre, qui comprend quelques instrumentistes de flamenco, à la fois sur et hors de scène. Quant aux quatre interprètes principaux, ils peuvent difficilement être meilleurs. Gabriella Reyes – alternant avec Angel Blue, pour cette seule représentation – embrasse la large palette du rôle de Xirgu, avec un chant d’une beauté à couper le souffle, et joue avec flair et émotion.
Elena Villalon, autre excellente soprano, au timbre lyrique remarquable, campe une charmante Nuria. Totalement convaincante en jeune homme, la mezzo Daniela Mack apporte glamour, intensité et un magnifique éclat à la partie de Lorca, notamment dans son registre grave puissant.
Alfredo Tejada a, quant à lui, recours aux ressources phénoménales du cante jondo traditionnel, pour les déclarations fanfaronnes et gutturales de Ruiz Alonso, l’accusateur phalangiste de Lorca, qui a organisé son assassinat.
Parmi les rôles secondaires, tous à la hauteur, le timbre le plus saisissant appartient à la basse d’encre de Scott Conner, en José Tripaldi. Les ensembles choraux et de danse, fondamentaux pour le flux narratif de la pièce, déploient une superbe énergie, tout comme les artistes de flamenco, Isaac Tovar et Sonia Olla.
Cette série de représentations d’Ainadamar est une expérience puissante. À la différence de Florencia en el Amazonas de Daniel Catan ou Grounded de Jeanine Tesori, l’ouvrage mérite une reprise sur la scène du Met.
DAVID SHENGOLD