Interview Spontini l’Européen
Interview

Spontini l’Européen

03/10/2024
Buste de Spontini. © Casa Museo Gaspare Spontini

Le 250e anniversaire de la naissance de Gaspare Spontini (1774-1851) est passé quasiment inaperçu. Même la nouvelle production de La Vestale (1807), à l’Opéra National de Paris, en juin dernier, n’a pas été accompagnée d’une exposition célébrant un compositeur certes né et mort de l’autre côté des Alpes, mais qui consacra dix-sept années de sa carrière à notre pays, en influençant profondément son esthétique musicale. Et pourtant, à l’heure où le mot « Europe » est sur toutes les lèvres, dans les sphères politique, économique et diplomatique, il le méritait amplement ! Entre une Italie et une Allemagne en attente d’unification, et la France, Spontini ne cessa de voyager, établissant des ponts entre les trois cultures et favorisant la circulation des idées. Cet automne, la Fondazione Pergolesi Spontini de Jesi, dans les Marches, sa région natale, s’efforcera de rattraper le temps perdu, en affichant, en plus d’une nouvelle production de La Vestale (18 octobre), la résurrection d’I quadri parlanti, « dramma giocoso » de 1800, dont on avait perdu la trace (29 novembre). Cristian Carrara, directeur artistique de la Fondation, nous en dit davantage.


Cristian Carrara.
Né à Pordenone (Italie), en 1977. Compositeur de formation, écrit surtout de la musique de chambre et symphonique, mais travaille également pour le théâtre. Nommé directeur artistique de la Fondation « Pergolesi Spontini », en janvier 2019. Renouvelé en 2024, son mandat court jusqu’en décembre 2027.
© Fondazione Pergolesi Spontini

Comment la Fondation « Pergolesi Spontini » (Fondazione Pergolesi Spontini), constituée à Jesi, en 2000, compte-t-elle célébrer le 250e anniversaire de la naissance de Spontini ?

Dans l’esprit des mélomanes, l’année 2024 est, surtout, associée au centenaire de la mort de Puccini et Fauré. La naissance de Smetana et Bruckner, en 1824, a, également, été commémorée, quoique dans une bien moindre mesure. Celle de Spontini, en 1774, est, en revanche, passée complètement inaperçue, car il s’agit d’un compositeur trop méconnu et insuffisamment valorisé. Il a, pourtant, été un musicien pleinement européen, capable d’appréhender, souvent même en avance, les grands changements culturels et politiques de son temps. Malgré cela − et c’est ce qui le rend unique en son genre −, il a réussi à maintenir dans son écriture une profonde italianité, tout en renouvelant le langage lyrique. Célébrer son 250e anniversaire nous offre, donc, l’opportunité de répéter combien il est nécessaire de jouer et connaître davantage sa musique. Il faut, également, rappeler à quel point Spontini a été une source d’inspiration fondamentale pour de nombreux compositeurs, qui l’ont considéré comme un maître et un grand innovateur. Nous aurons l’occasion de faire connaître son œuvre, de façon plus approfondie, avec de nouvelles productions scéniques, mais aussi à travers des rencontres, concerts, activités didactiques et nouvelles éditions critiques…

Le nom de Spontini est lié à un unique opéra, La Vestale. Comment expliquer que ce compositeur soit, souvent, cité par d’autres grands musiciens, comme Berlioz, Verdi ou Wagner, mais qu’il reste, finalement, peu joué ?

À mon avis, cette méconnaissance provient d’un faisceau de causes, au premier rang desquelles on trouve une raison structurelle : toute l’esthétique de l’opéra italien traditionnel est basée sur une succession de numéros séparés, et chaque œuvre doit impérativement comporter un, deux ou trois morceaux, immédiatement repérables par l’auditeur et destinés à devenir, d’emblée, des « tubes ». Les exemples sont légion, et tout le monde a en tête, dans Il barbiere di Siviglia, « Ecco, ridente in cielo », « Largo al factotum » et « Una voce poco fa ». De même, plus tard, Verdi a fait en sorte que le spectateur fredonne « Va, pensiero », en sortant de Nabucco, « La donna è mobile », après Rigoletto, ou « Addio, del passato », à l’issue de La traviata… N’oubliez pas qu’à cette époque, en l’absence d’enregistrements, cette pratique était fondamentale pour le succès d’une œuvre et sa diffusion. Les passages célèbres faisaient l’objet d’éditions séparées, pour qu’on puisse les chanter chez soi ou entre amis. Plus tard, l’avènement du disque n’a pas changé la donne : Puccini, par exemple, continue à écrire des airs conçus pour entrer dans l’oreille (et n’en plus ressortir !), comptant sur « Che gelida manina ! » (La Bohème), « Vissi d’arte » (Tosca) et « Nessun dorma ! » (Turandot) pour faire sa publicité. Ces succès programmés sont même calibrés pour la durée des tout nouveaux 78 tours (moins de quatre minutes), ce qui permet, aussi, leur passage à la radio… En ce sens, l’opéra italien est vraiment un art populaire, car il touche toutes les couches sociales qui, à travers ces « tubes », peuvent s’approprier les œuvres. De nos jours encore, en Italie, il n’est pas rare de voir un groupe d’étudiants avinés se mettre, spontanément, à entonner « E lucevan le stelle » (Tosca) ou encore « Una furtiva lagrima » (L’elisir d’amore)… Essayez donc de leur faire chanter « Tu che invoco » de La Vestale !


Maquette de décor pour la nouvelle production de La Vestale, à Jesi, à partir du 18 octobre. © Fondazione Pergolesi Spontini

La musique de Spontini serait-elle trop difficile ?

Si sa musique est indéniablement puissante, car elle fait encore beaucoup d’effet sur l’auditeur, elle n’est pas facile d’accès, dans le sens où l’on ne ressort pas de La Vestale, en pouvant en fredonner un air. Peut-être, éventuellement, quelques mesures de la prière « O nume tutelar » ? Et encore… Juste le début, et en italien, plutôt que dans l’original français (« Ô des ­infortunés déesse tutélaire ! ») ! Cela s’explique par le fait que Spontini ne compose pas des airs, mais des scènes, qu’il s’efforce de lier les unes aux autres, sans rechercher la beauté mélodique à tout prix. Par ailleurs, si La Vestale, effectivement son opéra le plus connu, n’est pas restée au répertoire courant, c’est, d’abord, parce qu’il s’agissait d’une « tragédie lyrique ». Le genre qui, à l’époque, semblait déjà rétrograde, très « Ancien Régime » − Spontini y reviendra pourtant, en 1819, avec Olimpie ! – paraît, aujourd’hui, carrément daté, voire ringard. De plus, l’histoire, simplissime, nous semble, à nous, spectateurs du XXIe siècle, trop proche de celle de Norma (Milan, 1831), d’une tout autre séduction mélodique.

N’y a-t-il pas, également, un problème lié à l’importance des moyens requis ?

Le chant présente, effectivement, de redoutables difficultés pour les interprètes, sans parler des forces (orchestrales, chorales, scéniques) nécessaires, et de l’accessibilité des partitions, pas toujours garantie. Créateur révolutionnaire et génial, Spontini s’est, en effet, peu soucié du devenir de ses ouvrages : chaque opéra a été créé, à grands frais, grâce à l’appui des puissants qui l’ont soutenu, à différentes périodes de sa vie (Napoléon et, surtout, Joséphine, à Paris ; Frédéric-Guillaume III, à Berlin). À l’inverse, par exemple, d’un Verdi, qui s’est constamment attaché à diffuser son œuvre, à la faire jouer partout, écrivant même des orchestrations réduites, destinées aux nombreux petits théâtres d’Italie. Cette postérité n’entrait pas du tout dans les préoccupations de Spontini : peu intéressé par ce type de contingences, il poursuivait avec intransigeance, et non sans un certain orgueil – qui lui a valu pas mal d’ennemis –, sa quête d’idéal artistique, cette sorte d’« œuvre d’art totale », qui allait tant inspirer un certain Wagner… Cette recherche inlassable, due à une insatisfaction perpétuelle, le conduisait à retravailler constamment ses œuvres, parfois bien après leur création, pour en proposer – en fonction, aussi, des interprètes du moment –des versions profondément remaniées. Les changements concernaient aussi bien la musique que, parfois, le livret : les moutures successives de Fernand Cortez (1809, 1817, 1824, 1832, 1838), d’Olimpie (1819, 1821, 1826) ou d’Agnes von Hohenstaufen (1829, 1837) sont un vrai casse-tête pour les musicologues… et les théâtres !


Huile sur toile d’un peintre anonyme français du début du XIXe siècle, représentant un décor pour La Vestale. Ramenée par Spontini de Paris à Maiolati. © Paolo Savino/Casa Museo Gaspare Spontini

Cet automne, la saison lyrique du Teatro Pergolesi de Jesi, dont la Fondation gère les activités, contient deux œuvres de Spontini, dont une absolument inédite…

Effectivement, fin novembre, la première exécution moderne du « dramma giocoso » I quadri parlanti sera présentée dans l’édition critique de Federico Agostinelli, établie pour la Fondation, avec la contribution du Centre d’Études pour la Musique Flamande d’Anvers. Cette nouvelle production, dirigée par Giulio Prandi, sera mise en scène par Gianni Marras, dans des décors et costumes conçus par les lauréats du 4e Concours dédié à Josef Svoboda, réservé aux étudiants en scénographie de diverses académies italiennes des Beaux-Arts. I quadri parlanti (Palerme, 1800) fait partie des quatre manuscrits autographes, retrouvés dans la bibliothèque du Château d’Ursel, en Belgique, en 2016. Par chance, la partition est complète, ce qui n’est pas le cas, par exemple, dans ce même lot, de L’eccelsa gara… per il ritorno ­trionfale del Gran Napoleone, une cantate en l’honneur de l’Empereur, écrite à Paris, en 1806, pour célébrer la victoire d’Austerlitz.

Cette représentation nous permettra d’entendre une œuvre du jeune Spontini, appartenant à sa période italienne, très mal connue, faute d’être jouée ou même documentée. Avant d’arriver à Paris, au début du XIXe siècle, il avait composé essentiellement dans le registre « buffo » – à l’exception notoire de Teseo riconosciuto (Florence, 1798), dont le seul enregistrement existant fait entendre une musique d’excellente facture, mais pas forcément très marquante. Qu’en est-il pour I quadri parlanti ?

Cet opéra en deux actes appartient à un ensemble d’œuvres de jeunesse, écrites dans le style ­napolitain : la formation de Spontini relevait, en effet, de cette école d’opéra italien qui s’imposait, alors, dans le monde entier. I quadri parlanti est très typique de cet esprit, qu’il s’agisse de l’intrigue, du nombre de personnages ou de l’écriture : le compositeur y fait preuve d’une grande maîtrise, même si, à dire vrai, on n’y trouve rien de l’innovation dont il fera preuve, à partir de La Vestale. Malgré tout, ces opéras italiens ont une grande importance, historique et esthétique, pour mesurer le pas de géant accompli par la suite.


Huile sur toile d’un peintre anonyme français du début du XIXe siècle, représentant un décor pour Fernand Cortez. Ramenée par Spontini de Paris à Maiolati. © Paolo Savino/Casa Museo Gaspare Spontini

Justement, à quoi attribuez-vous cette évolution stylistique si singulière que marque La Vestale, en 1807 ? Sachant qu’avant cela, à Paris, Spontini tente, entre 1804 et 1805, de s’illustrer dans l’« opéra-comique » français, avec quelques œuvrettes charmantes, comme Milton et Julie ou le Pot de fleurs

Spontini arrive en France, en 1803, et c’est manifestement là qu’il découvre la « tragédie lyrique », et qu’il va s’en imprégner. D’abord, à travers Gluck, qui est un véritable choc, et dont il étudiera attentivement les œuvres. Ses autres sources d’inspiration sont des Italiens, mais qui ont assimilé le style français, comme Piccinni et, surtout, Cherubini, dont la Médée de 1797 continue à marquer les esprits. À Paris, les reprises de ses ouvrages de jeunesse, tout comme ses « ­opéras-comiques », sont clairement des œuvres de circonstance, d’attente, pourrait-on dire, tandis qu’il prend le temps d’assimiler le grand style tragique. Pour autant, même si, dans La Vestale, les influences, en particulier gluckistes, sont claires, Spontini est vraiment un génie sui generis, que l’on ne saurait réduire à être l’épigone de qui que ce soit : il a su se forger son propre langage.

En quoi ce langage consiste-t-il ?

De Gluck, il a appris le grand ton des récitatifs dramatiques et la noblesse de la courbe mélodique des airs. Mais, chez Spontini, l’orchestration est très différente, beaucoup plus subtile. On comprend aisément le choc que ce langage nouveau a pu causer au public de l’époque, et même aux musiciens suivants, avec la démonstration d’une puissance sonore totalement inédite, tout en usant de moyens qui étaient bien ceux de son temps. Je veux dire par là que la force de cette sonorité n’est pas obtenue par des effectifs démesurés. Dans La Vestale, ils restent ceux d’un orchestre de l’époque, avec une cinquantaine d’instruments : cinq lignes de cordes, deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes et deux bassons, quatre cors, deux trompettes, deux harpes. Rien à voir avec les formations que l’on trouvera, plus tard, chez Verdi ou Wagner, qui compteront des pupitres de cordes, de vents et de cuivres bien plus étoffés. L’impression de masse est donnée, non grâce au nombre, mais par la texture, l’harmonie – avec, par exemple, des lignes mélodiques fréquemment doublées aux instruments –, et aussi par des effets de contraste et de gradation, notamment des pianissimi, des crescendi, ou de soudains silences, afin d’obtenir une dramatisation extrême du discours musical, qui épouse les sentiments comme les situations. Cela impressionnera au plus haut point Berlioz qui, dans son Traité d’instrumentation et d’orchestration de 1844, citera, à de très nombreuses reprises, l’œuvre de Spontini. En revanche, les effectifs choraux sont inhabituellement fournis, et la place dévolue aux chœurs est remarquable, tant par le nombre de numéros dans la partition que par la variété des groupes concernés, et par une écriture, souvent à neuf ou dix voix, infiniment complexe. De tout cela, Spontini tire une façon de superposer les plans sonores dans un même tableau, et de créer de saisissants fondus enchaînés pour lier les scènes, qui n’appartient qu’à lui. L’impact de La Vestale est, par ailleurs, tout aussi visuel, avec des ensembles, des ballets et des effets spectaculaires, qui annoncent le « grand opéra » à venir. Pour autant, de même que l’on a dit que Spontini n’était l’épigone de personne, de même peut-on noter qu’il n’a pas, non plus, eu de véritables héritiers. Car l’écriture ­spontinienne est éminemment personnelle, unique, et immédiatement reconnaissable. Il paraît clair, cependant, que, sans lui, certaines pages très remarquables des Troyens, de Lohengrin ou de Don Carlos n’existeraient pas. Comme bien des révolutionnaires, Spontini a, en quelque sorte, été dépassé par la révolution qu’il avait, lui-même, initiée, et d’autres, s’en inspirant, allaient connaître une gloire bien plus grande et durable.


Caroline Branchu, créatrice des trois « tragédies lyriques » de Spontini : La Vestale, Fernand Cortez et Olimpie.
© Gallica/Bibliothèque nationale de France

Pouvez-vous nous décrire la vocalité spontinienne ?

Elle est très particulière, et tous les chanteurs s’accordent à la trouver difficile. Dans La Vestale, le rôle de Julia est épuisant, car il est long, et dramatique. Il sollicite tous les registres, notamment le médium et le grave, ainsi que, fréquemment, la zone de passage, ce qui est très fatigant pour une soprano. Pour autant, on ne peut pas y distribuer une mezzo, car certains climax restent continuellement dans une vocalité tendue, entre le sol et le si bémol, où la voix doit sonner avec éclat et facilité. Mi-octobre, nous présentons une nouvelle production de La Vestale, avec Carmela Remigio en Julia. Licinius et Cinna, aux tessitures ambiguës, mais notées en clefs de ténor, sollicitent beaucoup le médium. Nous avons fait le choix de distribuer le premier à un baryton, Bruno Taddia, et le second à un ténor, Joseph Dahdah. Quant à la mise en scène de Gianluca Falaschi, elle tâchera de toucher les non-spécialistes : en Italie, Spontini n’a pas du tout la notoriété qu’il mérite ; il est important de faire aimer La Vestale au public le plus large possible, qui n’est pas forcément au fait de la « tragédie lyrique » française. Gianluca a eu la très belle idée d’une « mise en abyme » de l’œuvre, en la traitant comme le drame d’une cantatrice… qui pourrait être Maria Callas. On rend ainsi hommage à la redécouverte de La Vestale, dont l’héroïne était interprétée, en 1954, par cette immense cantatrice, à la Scala de Milan, dans la fameuse mise en scène de Luchino Visconti, qui signait là son premier spectacle d’opéra. Il y aura de petites coupures dans la partition, mais le ballet sera vraiment intégré à l’action, dans la chorégraphie de Luca Silvestrini. Nous coproduisons avec trois autres fondations italiennes : Ravenne, Plaisance (Piacenza) et Pise.

Vous avez évoqué de nouvelles éditions musicales. Quelles sont-elles ?

En décembre, nous allons présenter l’édition critique – due à Marco Attura, Gianluca Piombo et moi-même – d’Alcidor : un « Zauberoper » en trois actes, sur un livret de Théaulon de Lambert et Charles Nuteley. L’ouvrage appartient à la période berlinoise du compositeur, quand il était, de 1820 à 1840, « Generalmusikdirektor » à la cour de Frédéric-Guillaume III. Alcidor a, d’abord, été écrit en français, puis traduit en allemand et créé, avec un immense succès, à Berlin, le 23 mai 1825, à l’occasion du mariage entre la princesse Louise de Prusse, dernière fille de Frédéric-Guillaume III, et le prince Frédéric d’Orange-Nassau. Cet « opéra magique » voit triompher, après moult épreuves, l’amour d’Alcidor et Selaide, malgré l’opposition du cruel Ismenor, dans un univers peuplé de magiciens, sylphes et gnomes, avec nombre de sortilèges et malédictions… Cette œuvre monumentale, tant pour ses dimensions orchestrales que vocales, a nécessité un gros travail de révision, qui revêt une immense valeur musicologique : Alcidor a non seulement fasciné Wagner, mais il apporte, dans le domaine du théâtre musical, des innovations qui signeront le début d’une nouvelle ère. Ce projet d’édition critique a été initié, en 2022, par la Fondation, pour permettre la diffusion de l’opéra, en disposant de la partition intégrale, de parties séparées d’orchestre, mais aussi d’une version piano-chant. En septembre 2023, dans le cadre de notre Festival, des extraits ont été donnés à Maiolati, la ville natale de Spontini, par deux ­sopranos et un ténor, accompagnés au piano, et cela a été une redécouverte passionnante ! Reste, maintenant, à intéresser les théâtres, festivals, metteurs en scène et chefs d’orchestre…

On sait que Mozart était l’un des dieux de Spontini, son Don Giovanni jouant, notamment, un rôle récurrent dans sa vie. Devenu directeur du Théâtre-Italien, à Paris, le compositeur a tenu, en 1811, à présenter cet opéra, pour la toute première fois, dans sa version originale… sans grand succès, apparemment. Dans Alcidor, sent-on, de quelque façon, l’influence de Die Zauberflöte, un autre fameux « opéra magique » ?

Die Zauberflöte a, certainement, été une source d’inspiration pour ce qui relève du genre de l’ouvrage, et même du sujet. Mais pas du tout, je pense, d’un point de vue musical. En revanche, on y entend l’influence d’autres musiciens allemands (Mendelssohn, Weber), dont il avait eu l’occasion de diriger les œuvres. Car Spontini fait partie de ces compositeurs ayant, aussi, mené une grande carrière de chef d’orchestre, comme Mahler ou Richard Strauss, par exemple – un aspect qui a, je crois, toujours un impact sur leur propre langage musical.

La période berlinoise est, de loin, la moins connue de Spontini, bien qu’elle ait été des plus fécondes. Par exemple, on attend toujours la résurrection moderne et intégrale (quatre heures de musique !) d’Agnes von Hohenstaufen, que le compositeur considérait comme son chef-d’œuvre. Partagez-vous cette opinion ?

Personnellement, j’avais tendance à penser que Spontini n’était jamais allé plus loin que dans Fernand Cortez, en termes de complexité d’écriture, avec des finales grandioses, des doubles chœurs, et parfois même un second orchestre sur scène ! La Fondation a, d’ailleurs, établi l’édition critique de la création de 1809, qui a donné lieu à des représentations à Florence, en 2019, captées en CD et DVD. Il serait intéressant de travailler, désormais, sur la version remaniée de 1817, pour pouvoir comparer. Mais, maintenant qu’a été achevée l’édition d’Alcidor, mon jugement sur Fernand Cortez est plus nuancé. Je ne serais pas étonné qu’une fois effectué le travail critique sur Agnes von Hohenstaufen, opéra créé en 1829, on ait bien des surprises… Mais tout cela demande du temps et des moyens. Si on avance, peu à peu, dans le catalogue spontinien, n’oublions pas que la Fondation s’occupe, aussi, de Pergolesi ! Car ce dernier, mort à seulement 26 ans, n’est resté célèbre que pour le Stabat Mater et La serva padrona. Pour en revenir à Spontini, on se souvient que la « Rossini Renaissance » a dû attendre les années 1980-1990, grâce, en particulier, aux avancées musicologiques. La « Spontini Renaissance » est encore devant nous, mais pour cela, il faut que ses partitions, dans leur quasi-totalité, soient accessibles…

Propos recueillis par THIERRY GUYENNE

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