Opéra, 14 juin
L’Opéra de Lyon avait déjà affiché L’Affaire Makropoulos, en 2005, dans la production célébrée de Glyndebourne (1995), signée Nikolaus Lehnhoff, et portée à l’exception par une Anja Silja historique. L’œuvre revient, aujourd’hui, montée par Richard Brunel, le directeur général et artistique de la maison.
Le rideau s’ouvre, un instant, sur un micro-drame : une cantatrice, attaquant un récital, ne retrouve pas sa voix. Le metteur en scène français marque, ainsi, l’effet de cet âge – bien plus de 300 ans – qui, soudain, s’impose dans la vie de la fascinante Emilia Marty, jusque-là insensible au vieillissement. L’orchestre lance alors le récit d’un spectacle très bien mené, à travers les méandres d’un livret énigmatique.
Occupant un vaste espace unique, le décor de bois sombre fait se jouxter, en hauteur, une salle de concert et une loge, et, en bas, un bureau de notaire, où rideaux, meubles et lumières créent un dynamisme tranquille, propre à l’action si étrange de la recherche d’un testament perdu et de l’identité d’une femme décidément mystérieuse.
Aux dernières heures d’E. M., initiales communes à ses identités successives, quand la vie reprend ses droits, avec la mort acceptée par Elina Makropoulos, ce décor majuscule s’efface au profit d’une forêt faite d’ombres grises et de brumes, apaisante, accueillante. La diva (et non Krista, à qui elle l’a offerte) y brûle la formule de l’élixir de jouvence de son père, et se libère enfin, sans périr vraiment sur scène, comme si une autre vie s’ouvrait à elle, dans cette nature bienfaitrice qu’elle avait, si longtemps, prise de haut.
Pour pareil personnage, il faut, de toute façon, une cantatrice au rayonnement quasi animal. Ausrine Stundyte, qui, à Lyon, a déjà incarné Katerina Ismaïlova (Lady Macbeth de Mtsensk), Renata (L’Ange de feu) et Isolde, en concert, au seul acte II de Tristan und Isolde, toutes remarquablement, est de cette race rare.
Avec son mystère, sa force interne et, ici, sa quasi-discrétion vestimentaire (uniquement du blanc) – ce qui met en valeur son jeu impérieux, qui vous happe par sa présence constante. La voix se pare, désormais, d’aigus durs, criés parfois, qui n’entachent guère son expression. Trop d’Elektra et autres rôles tendus, ou fatigue passagère ? À suivre…
Face à l’héroïne, chacun des personnages trouve une identité forte, avec une direction d’acteurs d’une parfaite vérité. Denys Pivnitskyi compose un Albert Gregor incapable de résister à son aïeule, mais toujours avec la tentation de forcer un organe pourtant déjà très sonore, là où Paul Curievici s’avère le Vitek le plus élégant qu’on ait entendu.
Tomas Tomasson incarne Jaroslav Prus, avec toute la supériorité de l’homme sûr de la puissance sociale, convenant à ce père qui ne voit pas le malheur s’emparer de son fils. Ce dernier, le tendre Janek, est interprété par Robert Lewis, aux aigus délicats – et issu du Lyon Opéra Studio, comme Thandiswa Mpongwana, Krista pleine de vie, et excellente chanteuse, à l’avenir tout tracé.
Quant à Marcel Beekman, il joue, sans le caricaturer, un Hauk-Sendorf fasciné par les retrouvailles de celle qu’il a tant aimée, en lui donnant une dimension rêveuse heureuse.
Dans la fosse, enfin, Alexander Joel est de ceux qui savent donner rudesse et caressant à l’écriture si personnelle de Janacek, entre fanfares évocatrices d’un passé perdu et répétitions obsédées de la modernité d’alors. Le chef germano-britannique fait, ainsi, parfaitement le jeu de la tension progressive d’un récit musical et théâtral prenant dans sa fluidité interrogative.
PIERRE FLINOIS