Opera House, 16 mai
La plus célèbre héroïne de l’opéra français est partout au Royaume-Uni, ce printemps. D’abord, en avril dernier, au Covent Garden de Londres (voir O. M. n° 203 p. 59 de juin 2024), avec la Carmen internationale du jour, Aigul Akhmetshina – qui mènera la deuxième distribution du nouveau spectacle de Glyndebourne, à partir du 1er août.
Le Festival s’est tourné vers la metteuse en scène américaine Diane Paulus, pour sa troisième production de ce chef-d’œuvre populaire, mais difficile. Pas plus que ses prédécesseurs, Peter Hall (1985) et David McVicar (2002), elle ne convainc que Carmen est un opéra de « festival », bien que la plupart d’entre eux – y compris ceux de Salzbourg et d’Aix-en-Provence – aient fini par l’aborder.
Si les représentations démodées et traditionalistes de la Séville de Meilhac & Halévy étaient, invariablement, un aimant à clichés, un nouvel ensemble de lieux communs a pris leur place, dans le monde de l’opéra post-« Regietheater ».
Hormis la direction, exceptionnellement raffinée, du chef britannique Robin Ticciati et le jeu du London Philharmonic Orchestra – leur interprétation de l’exquis Prélude du III, avec son délicat solo de flûte, vaut, à elle seule, le prix du billet –, peu de choses distinguent la conception de Diane Paulus de celle de Damiano Michieletto, au Covent Garden, ou de la transposition de Calixto Bieito, qui a beaucoup voyagé.
L’action se situe dans un environnement militaire moderne – peut-être totalitaire –, où le machisme toxique est la règle. Carmen y devient une sorte de leader d’un mouvement féministe révolutionnaire. Ainsi, dans ses grands numéros publics, la bohémienne, telle qu’incarnée par Rihab Chaieb, affiche sa séduction, tout en levant le poing pour protester contre la répression masculine. Jusqu’ici, c’est politiquement correct.
D’une saisissante beauté méditerranéenne, la mezzo tuniso-canadienne est habillée de manière acidulée par Evie Gurney, pour exposer son ventre, alors qu’elle tourne sur la « Chanson bohème », avec ses scintillantes acolytes, Elisabeth Boudreault et Kezia Bienek. Sa voix couleur prune n’est pas énorme, mais elle se projette bien dans la petite salle, grâce à la netteté de son français – pas tout à fait idiomatique, certes, mais il est clair qu’elle comprend ce qu’elle chante.
Ses principaux partenaires sont considérablement moins efficaces, et il faut s’émerveiller qu’un festival international comme Glyndebourne, à un jet de pierre de la France, se tourne vers l’Europe de l’Est, pour distribuer les rôles de Don José, de Micaëla et d’Escamillo – c’était, certes, déjà le cas au Covent Garden, en avril…
Pour un opéra avec des dialogues en français, ce choix est d’autant plus déroutant. Inévitablement, malgré les tempi animés de Robin Ticciati, l’élan faiblit dans les passages parlés, surtout lorsqu’ils n’impliquent pas les francophones de la distribution, Loïc Félix et François Piolino.
Malgré l’aspect prétendument « contemporain » du spectacle, la mise en scène et la narration de Diane Paulus semblent tout à fait conventionnelles, et seule la représentation du machisme toxique d’Escamillo – Dmitry Cheblykov retirant le haut, et faisant jouer ses remarquables pectoraux, abdominaux et biceps, avec une amusante vantardise – apparaît comme une nouveauté.
Si le baryton-basse russe a un aigu plus solide que son grave, son interprétation de ses célèbres « Couplets » est plus que décente. Sa compatriote, Sofia Fomina, possède un soprano lyrique léger d’une belle rondeur. Dommage que sa Micaëla soit vêtue de façon à paraître antipathique.
Dans le programme de salle, Diane Paulus prétend être plus intéressée par Don José, le protagoniste, et narrateur, de la nouvelle de Mérimée. Si c’est le cas, elle a dû être déçue par les talents d’acteur génériques de Dmytro Popov. Si le ténor ukrainien a toutes les notes requises, il semble mal à l’aise, une navaja à la main, et sa transformation de mauviette amoureuse en assassin, dans la scène finale, ne convainc pas entièrement.
La corrida, ici, relève à la fois de l’anti-climax et de la solution à petit budget, avec un « taureau » d’entraînement roulant parmi la foule, et les membres du chœur prenant place dans les rangées supérieures du stade et se tenant debout, pendant que le drame de la confrontation entre Carmen et Don José se déroule en dessous. L’ensemble du spectacle donne l’impression de ne pas avoir assez « mijoté », avec une chorégraphie de style Broadway, signée Jasmin Vardimon, qui ne semble pas à sa place dans cette version allégée de « Regietheater ».
Il faut espérer qu’une partie du flair orchestral et de l’énergie de Robin Ticciati revigorera, jusqu’au 17 juin, l’élan de cette première série de représentations. Et que l’arrivée d’Aigul Akhmetshina introduira une certaine « qualité star » dans la seconde distribution.
HUGH CANNING