Opéras Un Tannhäuser original à Francfort
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Un Tannhäuser original à Francfort

01/06/2024
Marco Jentzsch (Tannhäuser), à droite. © Barbara Aumüller

Oper, 11 mai

Ovationné, à la fin de cette représentation de Tannhäuser, le jeune chef allemand Thomas Guggeis (né en 1993) est en train de s’imposer à son nouveau poste de « Generalmusikdirektor » de l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt). Si son sens du spectaculaire orchestral et sa bonne emprise sur les masses chorales conviennent bien à Wagner, l’un des problèmes majeurs d’une approche aussi sonore reste, cependant, l’absence de réel contrôle du volume de ce qui sort de la fosse, au risque de fatiguer inutilement les chanteurs, voire de les couvrir.

Et ce n’est que lorsque les turbulences de Tannhäuser se calment, notamment dans un Prélude de l’acte III d’une relative platitude, en tout cas peu investi, que l’on comprend mieux à quel point cette direction continuellement énergique peut manquer, encore, de maturité.

Le metteur en scène sud-africain Matthew Wild, en charge de cette nouvelle production, se distingue par une fraîcheur non moins patente de l’approche, mais aussi par davantage de pondération. Et bien que sa libre réinterprétation de l’intrigue, telle qu’elle est résumée dans le programme de salle, puisse faire craindre un spectacle compliqué et contraint, le résultat s’avère, en définitive, aussi original que remarquablement équilibré.

Place donc à l’histoire d’Heinrich von Ofterdingen (le clin d’œil au roman inachevé de Novalis paraît délibéré), un écrivain allemand qui, après avoir fui le nazisme, a trouvé un poste de professeur de littérature dans une université catholique américaine. Au zénith de sa carrière, alors que son dernier livre, intitulé Montsalvat, vient d’être récompensé, en 1956, par le prix Pulitzer, il se retire secrètement pour tenter d’écrire un nouvel ouvrage.

Or, au cours de cette sorte d’exil intérieur, sous l’emprise de comprimés de morphine et des musiques du Venusberg, se forment dans son esprit, prodigués par une Venus virtuelle, à la fois maternelle et macabre, de multiples fantasmes homosexuels, jusqu’ici totalement refoulés.

Par la suite, sa réapparition inopinée d’homme public, dans son université rigoriste du début des années 1960, n’en est que plus difficile. Et sa participation à un « tournoi poétique de charité » tourne même au scandale absolu, quand, toujours sous l’emprise des mêmes pulsions, il effectue un fracassant coming out, en embrassant un timide étudiant à pleine bouche…

Et la pauvre Elisabeth dans tout cela ? C’est une jeune disciple, amoureuse de son mentor au point d’être la seule à ne pas l’abandonner, lors de son lynchage médiatique, et, après sa mort – d’une overdose ? –, de terminer le roman sulfureux qu’il était en train d’écrire. Devenue, à son tour, une autrice reconnue, et même une icône de la libération sexuelle (sic), on la retrouve, à l’extrême fin, sous les traits d’une vieille dame, dans le même amphithéâtre, où elle prononce une conférence sur le destin d’Heinrich von Ofterdingen, devant un public qui l’acclame en chantant, debout, un émouvant chœur d’hommage !

Un concept certes capillotracté, mais pertinent à tout moment, les analogies du personnage principal avec le profil complexe d’écrivains modernes, tels que Thomas Mann ou Christopher Isherwood, devenant dès lors patentes.

Quant au traitement visuel de l’ensemble, à la fois fermement ancré dans les États-Unis de la guerre froide, et en permanence sous-tendu par un onirisme où défilent, en vrac, grâce à une brillante figuration dansée, le Bacchus de Caravaggio, mais aussi Tadzio dans Tod in Venedig (Mort à Venise), il permet d’orienter explicitement toutes les musiques du Venusberg, tout en restant prudemment au second degré – à quelques nudités masculines près, fugitivement entrevues.

Très engagée dans ce projet original, la distribution se distingue, toutefois, davantage par sa crédibilité scénique que par sa séduction musicale. Le ténor allemand Marco Jentzsch chante, ainsi, un Tannhäuser svelte et clair, à la façon de son compatriote Klaus Florian Vogt, mais avec moins de prestance et d’apparente facilité – peut-être parce qu’enrhumé, comme on nous l’annonce en début de soirée.

La soprano suédoise Christina Nilsson est une Elisabeth au timbre un peu strident, très « ancienne manière », qui n’en vient pas moins à bout de son rôle sans difficulté. Davantage de rondeur pour le Wolfram du baryton slovène Domen Krizaj, et surtout, pour le somptueux Landgrave de la basse allemande Andreas Bauer Kanabas.

Enfin, chapeau bas à la Venus de Yuko Tsuchiya, arrivée quelques heures avant le lever de rideau, afin de remplacer Dshamilja Kaiser, souffrante. Car la soprano japonaise réussit à tout assumer : un rôle à chanter dans la rare version « de Vienne » – en fait, celle que nous nommons, le plus souvent, « de Paris », par abus de langage –, une scénographie pour le moins originale, et un maquillage fantomatique particulièrement chargé.

LAURENT BARTHEL

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