Opéra, 17 mai
Pour cette nouvelle production de Pagliacci, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil ont ajouté au « théâtre dans le théâtre » du livret originel, une mise en perspective contemporaine. À l’instar de Dimitri Tcherniakov, dans sa Carmen du Festival d’Aix-en-Provence, en juillet 2017, où l’impuissance de Don José était traitée dans une improbable clinique, le duo de metteurs en scène a voulu faire de l’opéra de Leoncavallo, une sorte de thérapie : celle d’un féminicide.
Le rideau de scène s’ouvre sur un banc, devant un second rideau, où Canio/Pagliaccio, encadré d’un « maton » et d’une infirmière, vient s’installer face à un écran. Entre chaque mouvement vont s’intercaler des images vidéo – vie quotidienne de la victime, interviews de l’avocat de l’assassin et d’une psychiatre parlant de la jalousie et, pour faire bonne mesure, un comédien interprétant quelques passages de l’Othello de Shakespeare –, la séquence s’achevant sur les images d’un corps de femme ensanglanté.
Lorsque le second rideau se lève enfin, nous sommes dans un espace carcéral, baptisé « Unité pour malades difficiles », où doit se rejouer le drame, afin de réveiller la conscience du meurtrier, détenu dans une cage, sous le numéro 594. Puis, pendant l’« Intermezzo », reviennent les images de la vie quotidienne de la victime, tandis que défilent, devant le rideau, quelques couples ordinaires, où l’homme est, clairement, dominé par la femme.
L’ensemble, plutôt habile, ne triche pas avec le livret, n’était l’invraisemblance de ce lieu entre prison et hôpital, et la fin revisitée. Car, après la pantomime, surjouée, Nedda et Silvio se relèveront, mais Canio se tranchera la gorge. D’évidence, la cure est allée au-delà de son projet et n’a servi qu’à achever le drame. On peut, tout de même, se demander ce que cette transposition, si sophistiquée, ajoute au propos, et si ce jeu entre fiction et réalité n’altère pas la force émotionnelle et la capacité cathartique du chef-d’œuvre de Leoncavallo.
Pour défendre cette proposition, l’Opéra de Limoges a réuni une distribution de premier plan. Le ténor espagnol Alejandro Roy peut s’appuyer sur une voix très centrale, pour donner toute sa puissance à Canio/Pagliaccio. Son grand air transmet, avec beaucoup de force, le désarroi de son personnage.
La soprano italienne Claudia Pavone possède d’infinies ressources dans l’aigu, pour caractériser une Nedda/Colombina insolente et provocatrice. Mais, faute d’un timbre plus charmeur, elle paraît moins convaincante dans le grand duo avec le Silvio de Philippe-Nicolas Martin. D’une belle rondeur, la voix très lyrique du baryton français donne beaucoup de sensualité à ses interventions.
L’autorité de l’Italien Sergio Vitale et sa haute stature font de Tonio/Taddeo un personnage inquiétant, presque noble, malgré sa perruque hirsute. Enfin, l’Espagnol Nestor Galvan fait valoir, en Beppe/Arlecchino, un beau timbre de ténor lyrique et un élégant phrasé.
Sous la baguette de son directeur musical, le Bulgare Pavel Baleff, l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Limoges Nouvelle-Aquitaine se révèle un instrument ductile, dont la matière sonore, colorée et vivante, sert admirablement la partition.
ALFRED CARON