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Un premier « grand opera » en forme d’oratorio à Riyad

08/05/2024
Sarah Connoly (Zarqa Al Yamama). © DR

Centre Culturel « Roi Fahd », 25 avril

Nous ne reviendrons pas sur les circonstances de la création du premier opéra saoudien, Zarqa Al Yamama, à Riyad, évoquées dans notre rubrique On en parle. L’objet de ce compte rendu est de nous concentrer sur ce que nous avons vu et entendu, le 25 avril.

Le livret, d’abord, signé du poète saoudien Saleh Zamanan. N’étant pas arabophone, il nous est impossible, avec le simple secours des surtitres en anglais, de juger de sa qualité littéraire. Sa structure en deux actes, en revanche, intrigue : alternance de soli et d’interventions chorales, avec un seul duo (très bref) et aucun ensemble, elle évoque davantage un oratorio que le « grand opera » annoncé.

Impression renforcée par la quasi-absence d’action, dans cette histoire inspirée d’une antique légende de l’Arabie préislamique : Zarqa a le pouvoir de lire l’avenir ; alors qu’elle a vu la destruction prochaine de son peuple par une tribu rivale, nul ne l’écoute ; le désastre accompli, elle transmet son don de divination à la jeune Afira et meurt.

Le principal mérite du compositeur australien Lee Bradshaw est d’avoir insufflé de la variété dans cette heure cinquante de musique, jouée avec un entracte. Une partition fondamentalement tonale, aisément accessible pour un public pas du tout familier des expérimentations conduites en Europe et aux États-Unis, tout au long du XXe siècle, qui ressemble souvent, pour sa partie orchestrale, à la bande-son d’un film, signée Howard Shore ou Hans Zimmer. À défaut d’originalité, elle s’écoute sans déplaisir et, surtout, sans ennui.

Les différents climats sont bien caractérisés, et les emprunts à la musique moyen-orientale sont aussi habilement intégrés que les souvenirs de Rimski-Korsakov, Moussorgski, Borodine et Puccini. Une remarque qui vaut, également, pour l’écriture vocale, très mélismatique, répartie entre monologues de style déclamatif, véhéments ou introspectifs, et airs mélodieux – celui d’Afira, qui conclut l’opéra, est particulièrement séduisant.

La vedette de la première distribution, la seule que nous ayons entendue, est Sarah Connolly, bien connue pour son travail sur Haendel et Rameau, avec William Christie, Emmanuelle Haïm ou Marc Minkowski. À bientôt 61 ans (elle les fêtera le 13 juin), la mezzo-soprano britannique conserve l’essentiel de sa chaleur dans le timbre, tout en faisant preuve, en Zarqa, d’une sensibilité et de dons de tragédienne toujours exceptionnels.

Même si la sonorisation, rendue nécessaire par l’acoustique du Centre Culturel « Roi Fahd », complique l’appréciation des autres voix, on est frappé par le chant ravissant de la soprano australienne Amelia Wawrzon en Afira. Le ténor italien Paride Cataldo fait, également, grosse impression en Ben Afar Al Aswad, frère de la précédente. Très sollicité, notamment dans son rôle de commentateur des événements, le Chœur Philharmonique Tchèque de Brno est impressionnant.

Le chef espagnol Pablo Gonzalez dirige, avec flamme et précision, un orchestre (Dresdner Sinfoniker) en grand effectif. Quant à Daniele Finzi Pasca, agissant en tant que metteur en scène et créateur lumière, il signe un spectacle à la fois sobre et luxueux, en réussissant l’exploit de respecter la dimension « oratorio » de l’ouvrage, tout en maintenant du mouvement sur le plateau : piliers monumentaux, dessinés par le décorateur Luigi Ferrigno, glissant sur un sol brillant ; déploiement de voiles colorés ; nombreux figurants, etc.

De temps en temps, des écrans descendent des cintres, pour faire défiler les somptueuses vidéos de Roberto Vitalini – celle de la mer de lave est absolument sublime. Les costumes traditionnels de Giovanna Buzzi sont splendides, et l’on se gardera d’oublier les accessoires de Maysa Ahmad Al Ruwaished : ananas et pommes d’or, masques d’animaux…

Visuellement, le point culminant de la production reste l’apparition d’un gigantesque rorqual bleu, mi-squelette, mi-recouvert de peau, au début de l’acte II. Articulé, le gigantesque cétacé ondule devant une vidéo, magnifiquement réalisée, de plancton tourbillonnant dans l’océan, pour un effet aussi spectaculaire que poétique.

Au bilan, Zarqa Al Yamama remplit ses objectifs : un opéra accessible à un public néophyte, monté avec d’imposants moyens, révélant aux Saoudiens ce qui fait la spécificité du genre, tout en l’inscrivant dans leur propre culture et leur propre histoire ; la juxtaposition réussie de talents et de savoir-faire locaux et occidentaux ; et un produit tout à fait exportable, pour un pays entendant montrer au reste du monde ce qu’il est capable d’accomplir, dans un univers étranger à ses traditions culturelles.

RICHARD MARTET

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