Opéras Un Pelléas wagnérien à Liège
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Un Pelléas wagnérien à Liège

27/04/2024
Nina Minasyan (Mélisande) et Lionel Lhote (Pelléas). © ORW-Liège/Jonathan Berger

Théâtre Royal, 16 avril

On a beaucoup glosé sur les liens musicaux qui uniraient, ou non, Wagner et Debussy, sur l’influence supposée du premier sur le second. La production de Pelléas et Mélisande, présentée à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, ajoute, peut-être, une pièce au dossier. On a rarement entendu, en effet, dans cet ouvrage, un orchestre aussi délié, riche de contrebasses abyssales, d’altos crissants, de bois se tuilant magiquement les uns les autres – avec, en particulier, un cor anglais digne de tous les éloges.

Outre le talent des instrumentistes, la baguette animée de Pierre Dumoussaud y est, bien sûr, pour beaucoup. Et c’est, précisément, là que gît le paradoxe : à plus d’une reprise, on en vient à surprendre l’ombre sonore de Wagner, à tel point qu’à l’évocation, par Golaud, de sa généalogie, dans la première scène, on croit percevoir la voix de Wotan.

Plus loin, quand, dans le spectacle de Barbe & Doucet, le château d’Allemonde apparaît sous forme de maquette, c’est le Walhalla qui scintille, sous l’éclat cuivré des fanfares, quand bien même Debussy ferait preuve de retenue. L’impression est celle d’une splendide trame, qui serait presque une symphonie en soi.

À vrai dire, c’est d’un déséquilibre entre fosse et plateau que naît cette impression. Car les chanteurs, à deux exceptions près, se font difficilement entendre, sans qu’on sache si l’orchestre joue trop fort (mais avec mille nuances), si les voix sont insuffisamment projetées, ou si le décor les fait se perdre dans les cintres.

La première de ces exceptions est Simon Keenlyside, familier du rôle de Golaud, dont il sait dire les convictions et les tourments. Il met sa diction exemplaire au service de la rage et du désespoir, quand il le faut, de la détresse, également, avec une dose de bonhomie étonnante, parfois, ou même une ironie mauvaise (« Je connais Pelléas mieux que toi », au II). Sa scène de violence avec Mélisande a quelque chose de primitif, et ses supplications, au V, en font un personnage incapable de comprendre ce qu’il lui est arrivé.

Alors qu’il avait été proposé à Lionel Lhote de chanter Golaud, il a préféré aborder ici, et pour la première fois, Pelléas. Sa couleur de « baryton Martin » lui permet de se distinguer, sans difficulté, de Simon Keenlyside. D’autant que son enthousiasme sur scène fait de lui un Pelléas, certes assez peu juvénile d’allure, mais très ardent, plus soucieux de clarté que de demi-teintes.

Le drame est que, face à ces interprètes accomplis, la Mélisande de Nina Minasyan a du mal à exister. D’abord, parce qu’on perçoit difficilement ce qu’elle chante : moins pour une question de diction que de volume, et d’intensité dans la caractérisation. Hormis au début du III, où on l’entend clairement, quand l’orchestre se tait, son personnage apparaît uniformément soumis – jusque dans la scène des adieux avec Pelléas, où Lionel Lhote semble vivre et aimer pour deux.

La bondissante Judith Fa n’a pas davantage de réalité vocale en Yniold, la Geneviève de Marion Lebègue manquant, pour sa part, de rondeur. Quant à Inho Jeong, s’il possède le timbre hiératique qui sied à Arkel, sa diction est cotonneuse, et son incarnation souffreteuse.

Cette distribution très déséquilibrée, André Barbe et Renaud Doucet la font évoluer dans une production – créée au Teatro Regio de Parme, en mars 2021 –, dont ils assurent aussi bien la mise en scène que les décors et les costumes. Au tout début intervient un personnage muet, qui pourrait, tout simplement, figurer le destin, mais se révèlera, à la fin, être le Médecin – Roger Joakim, plein de dignité.

On le reverra à plusieurs reprises, une boule de cristal à la main, de même que réapparaîtront régulièrement, notamment dans les interludes instrumentaux, six jeunes filles, voilées de blanc de la tête aux pieds, déambulant avec lenteur – peut-être des hamadryades, pour nous rappeler que nous sommes dans un univers sylvestre.

Le décor est conçu de racines tombées du ciel – qui servent opportunément de chevelure, où Pelléas aimera se perdre –, de souches d’arbres suspendues, un monumental visage de statue endormie apparaissant des hauteurs, sans qu’on en comprenne vraiment la nécessité. Le tout avec de l’eau, au premier plan, et la maquette du château d’Allemonde, qu’on a évoquée, qui monte et descend des cintres.

Au total, le spectacle reste d’une symbolique obscure. Ou, peut-être, un peu trop naïve. Si les personnages sont vêtus de couleurs claires – à l’exception d’Arkel –, est-ce pour faire pièce aux terreurs enfouies entre les murs ? Si Yniold est la réplique (perruque blanche et costume) de Pelléas, serait-il le remords de son oncle ? On sort de la représentation, en se disant que Pelléas et Mélisande est bien l’opéra des énigmes et des labyrinthes.

CHRISTIAN WASSELIN

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