Teatro alla Scala, 12 avril
Créé en 1917, entre La fanciulla del West (1910) et Il trittico (1918), La rondine est le seul opéra de la maturité de Puccini à être resté relativement rare. N’est-il vraiment qu’un flirt du compositeur avec les facilités de l’opérette ? Rien n’est moins sûr, quand on considère l’exquise richesse de cette partition.
Mais quelle que soit sa valeur musicale, demeure le problème de la dramaturgie. Le virage mélodramatique du dernier acte fracture l’équilibre entre la légèreté festive et la nostalgie délicate des deux premiers : l’« hirondelle » devrait s’envoler de son nid éphémère, avec le même sourire tendre et rêveur qui l’a poussée au bord de la mer, mais comment rendre compte de la passion naïve de son étudiant « fleur bleue », sans tomber dans le pathos ?
Seule une mise en scène astucieuse pourrait réussir la quadrature du cercle, en soulignant l’ironie dont Puccini enveloppe l’ouvrage, entre auto-emprunts, danses à la mode et clins d’œil modernistes, comme pour mieux se distancier de ses penchants post-romantiques. Une « mise en abyme » ne ferait, toutefois, l’affaire qu’à condition de montrer son bien-fondé. Ce qu’Irina Brook, dans cette nouvelle production de la Scala de Milan, ne réussit qu’à moitié.
Pour pertinent qu’il soit, le dispositif méta-théâtral, plaqué sur le livret sans conviction, perd en lisibilité, au fil des actes. Le I est situé dans les coulisses d’un théâtre, où l’alter ego de la metteuse en scène, rôle tenu par la danseuse Anna Olkhovaya, dirige une répétition. Émue par le fantasme amoureux de Magda, elle finit par s’identifier à la protagoniste, au point de se retrouver, avec elle, plongée au cœur d’une fête (rêvée) au bal Bullier. Le dédoublement se poursuit jusque sur la plage ensoleillée du III, avant que les cloches ne sonnent la fin de la répétition et que les comédiens se pressent vers la sortie.
Un spectacle agréable, non dénué d’un certain charme, qu’assurent des costumes très colorés, quelques chorégraphies bien réglées et une mer ondulante en carton-pâte, au début du III. Mais les personnages en sont réduits aux simples silhouettes d’un voyage onirique, sur lequel plane, en permanence, une atmosphère de comédie musicale, aussi vaporeuse que prévisible.
Tout l’intérêt se trouve, donc, dans la musique. D’autant que, comme pour les autres opéras du compositeur, Riccardo Chailly a eu recours à l’édition critique – établie par Ditlev Rindom et publiée chez Ricordi –, basée sur le manuscrit autographe de Puccini, que personne n’avait pu consulter. Une version antérieure à celle de la création, donc, avec quelques différences sensibles – de nombreux détails d’orchestration, mais aussi plusieurs passages dans le rôle de Ruggero, notamment privé de son air d’entrée, « Parigi ! È la città dei desideri », ajouté par Puccini, en 1920.
Sous la battue souple et naturelle de son directeur musical, l’orchestre de la Scala sonne magnifiquement, soyeux et raffiné, exaltant la variété de la palette, la délicatesse des textures, la mobilité des rythmes. Il se montre tout aussi concerné par la verve et la sensualité du phrasé que les chœurs, impeccablement préparés par Alberto Malazzi.
Autre mérite de Riccardo Chailly : assurer la parfaite homogénéité de la distribution, des protagonistes aux nombreux comprimari. Une distribution dominée par la Magda accomplie, sinon théâtralement, du moins vocalement, de la soprano italienne Mariangela Sicilia, qui déploie un éventail de nuances aussi changeant que le cœur de l’héroïne.
À ses côtés, la maladresse scénique de Matteo Lippi fait pâle figure, qui transforme Ruggero en paysan terne et mal dans sa peau, que l’on peine à croire capable d’arracher Magda à ses plaisirs mondains. Mais l’instrument du ténor italien fait merveille : timbre gorgé de lumière, ligne soignée, émission puissante, au service d’un lyrisme généreux, jusqu’au paroxysme, lors des adieux forcés.
Outre le Rambaldo cynique de Pietro Spagnoli, c’est du second couple qu’émane une franche gaieté, avec la pétillante Lisette de Rosalia Cid et le délicieux Prunier de Giovanni Sala, poussant à l’excès ses manières de dandy, quitte à faire douter, là aussi, de leur compatibilité amoureuse.
Mais le cœur a ses raisons, que la musique de Puccini suffit à enrober d’un charme voluptueux, et dont la production d’Irina Brook ne fait, hélas, que retenir l’insoutenable légèreté.
PAOLO PIRO