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Negar, conte documentaire d’un genre nouveau à Montpellier

24/04/2024
Katarina Bradic (Shirin) et Aida Nosrat (Negar). © Marc Ginot

Opéra Comédie, 5 avril

Créé le 29 octobre 2022, au Deutsche Oper de Berlin, Negar est proposé, aujourd’hui, à l’Opéra Orchestre National Montpellier, son coproducteur, pour la création française. Il y a deux ans, la crise politique en Iran, les manifestations à la suite de la mort de la jeune étudiante Mahsa Amini, décédée après son arrestation pour port incorrect du voile, trouvaient un écho dans le livret de cet ouvrage, présenté d’abord comme un « théâtre musical », puis, nouveau genre (?), comme un « conte documentaire » – en vérité, un conte cruel, dans l’esprit d’un Villiers de l’Isle-Adam.

Nous sommes en 2013, à Téhéran. Parisienne, Shirin retrouve ses amis d’enfance, Negar et Aziz. Que faire dans une dictature qui opprime les êtres au nom de la religion ? Aziz est réalisateur, en ces temps où le cinéma est sous haute surveillance ;  Negar et Shirin s’aiment, alors que l’homosexualité est interdite…

Attente fébrile, dans les coursives de l’Opéra Comédie, pour le public muni d’un bracelet lumineux, afin de pouvoir se faufiler, côté cour, sur le plateau, restreint à trois cents spectateurs, placés face à face sur des gradins – voilà qui pourra rappeler le dispositif du Théâtre du Soleil, à Vincennes… D’autant qu’arrive, bientôt, une automobile poussée par des appariteurs, à l’image des véhicules pétaradants d’Utopia, légendaire spectacle de Luca Ronconi (1975), d’après Aristophane. Côté jardin, surplombant la scène, se trouvent les instrumentistes.

Changements à vue du décor, de la maison à la prison, en passant par la cuisine, la salle à manger, le hammam, la chambre… Tout s’enchaîne et virevolte, autour du trio formé par les personnages de Shirin, Negar et Aziz, jusqu’à cette virée nocturne, dans Téhéran, en auto – « rare espace de liberté sur la voie publique », comme le rappelle justement la dramaturge et librettiste Sonia Hossein-Pour –, aux images superbement filmées en direct, et réinjectées dans des séquences tournées sur les lieux mêmes, fantaisie grandiose à travers la capitale illuminée que relaient deux écrans géants, placés au-dessus du public.

Un peu plus de deux heures d’un spectacle certes captivant, dans la belle mise en scène de Marie-Ève Signeyrole, mais entaché d’un livret – cosigné par la réalisatrice, elle-même – figé dans une forme de réalisme guère poétique : la violence du final, dans une prison, avec ses tortionnaires, plombe l’ouvrage, qui aurait gagné à être resserré. Nous sommes, hélas, dans un quotidien prosaïque, qui appartient au domaine du ressenti, auquel il manque cette distanciation, cette retenue et ce regard affiné, concentrés dans le cinéma d’Abbas Kiarostami, Asghar Farhadi, Mohammad Rasoulof, Maryam Moghaddam ou Jafar Panahi.

Le compositeur et percussionniste Keyvan Chemirani (né en 1968) a conçu une partition d’envergure, sa plus longue et, certainement, sa plus ambitieuse, où se marient, avec bonheur, la tradition iranienne – il a été formé par son père Djamchid, virtuose du zarb – et l’écriture occidentale, intégrant les styles baroque, classique et contemporain, jusqu’au jazz.

Sa fréquentation d’artistes aussi différents que Louis Sclavis, Jean-Marie Machado, Leonardo Garcia Alarcon, Françoise Atlan, Pandit Anindo Chatterjee ou Thomas Dunford, sans compter le trio qu’il a constitué, avec son père et son frère Bijan, nourrit son sens de l’improvisation, à partir des sources non écrites de la tradition orientale, qu’il façonne en une partition destinée à une dizaine d’instrumentistes et six chanteurs, pilotés énergiquement par Sonia Ben-Santamaria.

Les mélismes du chant persan, confiés à Aida Nosrat, dans le rôle-titre, se combinent aux voix de deux artistes lyriques : le mezzo, ample et rayonnant, de Katarina Bradic en Shirin, et le beau baryton de Julian Arsenault en Aziz. Un défi et une prouesse, pour le compositeur comme pour les chanteurs, dans une partition richement ornementée, distribuée en récitatifs, monologues, duos, trios et quatuors, où il s’agit de rythmer le chant (français, persan et anglais) sur des modes particuliers, avec de brusques accélérations, des répétitions martelées ou un balancement quasi mystique, inspiré par la cantillation.

Keyvan Chemirani privilégie, en outre, un continuo d’une grande liberté, confié alternativement au zarb – le compositeur et interprète n’hésitant pas à se mouvoir au plus près des chanteurs ! –, aux flûtes de Sylvain Barou, au trombone de Juliette Tricoire, aux târ et saz persans d’Efren Lopez…

Negar se clôt sur l’air doloriste qui ouvre l’Orphée et Eurydice de Gluck, déploration sur la mort d’Eurydice – ici, Shirin –, victime expiatoire d’un drame réaliste qui, après Montpellier, devrait trouver, la saison prochaine, une nouvelle scène.

FRANCK MALLET

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