Opéra, 24 mars
Pour son ultime saison à la direction de l’Opéra de Lausanne, Éric Vigié a tenu à monter, lui-même, un dernier ouvrage. Cette rafraîchissante mise en scène de Die Zauberflöte, en coproduction avec l’Opéra de Tours, prend le point de vue des trois Génies, comme si toute l’histoire était rêvée par ces garçons, admirateurs des Aventures de Tintin. Pamina, leur grande sœur, ou jeune gouvernante, leur fait d’ailleurs la lecture du Lotus bleu, sous le regard amusé d’un majordome – qui se révèlera être Monostatos –, vêtu d’un gilet jaune rayé, évoquant irrésistiblement le fidèle Nestor de Moulinsart.
C’est donc au prisme de cet album, mais aussi de Tintin au Tibet, qu’est revisité le « Singspiel » de Mozart, collectant au passage maints clichés sur l’Asie : fumerie d’opium, où s’attarde Tamino ; Reine de la Nuit et Dames aux ongles démesurés ; Sarastro en vénérable Dalaï-Lama ; Prêtres en Bonzes tibétains ; Monostatos en chef d’une mafia chinoise, portant les masques de l’Opéra de Pékin…
Les superbes costumes, décors (des parois coulissantes) et accessoires divers (cimeterres, lampions, etc.), ainsi que les très évocatrices vidéos (en particulier, des vues de l’Himalaya) achèvent de nous transporter dans cette Asie fantasmée, dont le merveilleux n’est pas absent. Ainsi, en entonnant « Wie stark ist nicht dein Zauberton », Tamino convoque trois énormes pandas (les garçons déguisés !) et un yéti, créature qui réapparaîtra régulièrement dans la soirée, jusqu’à la refermer symboliquement, faisant coulisser les cloisons du rêve.
La réussite tient, également, à une direction musicale soignée. Frank Beermann tire de l’excellent Orchestre de Chambre de Lausanne des couleurs fruitées, avec une élégance et une précision du geste qui font mouche. Si certains tempi peuvent paraître trop lents, voire statiques, rarement aura-t-on entendu aussi déchirant contrepoint de basson, lors du récit par la Reine de l’enlèvement de sa fille, ou poétique tissu de bois dans « Ach, ich fühl’s ».
La distribution est dominée par le Papageno, très bien chantant et vraie bête de scène, de Björn Bürger, le baryton allemand étant particulièrement hilarant, quand il chante en fausset – tel un jingle ! – les fameux piqués de la Reine de la Nuit, à chaque mention de ce personnage. Il forme un couple charmant avec la soprano franco-japonaise Yuki Tsurusaki, Papagena poids plume, mais excellente danseuse et présence vive.
Le couple sérieux est moins bien assorti. L’Ukrainien Oleksiy Palchykov possède un beau ténor, clair et bien conduit, mais il a tendance à claironner, y compris dans un « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » trop peu tendre, rendant son Tamino fort raide. La Serbe Tamara Banjesevic incarne, au contraire, une Pamina volontaire, mais attachante. La voix est corsée, la technique aguerrie, mais on regrette des aigus systématiquement forte.
Remplaçant Sara Blanch, annoncée à l’origine, Marie-Eve Munger offre une Reine de la Nuit nuancée. Si les vocalises du premier air trouvent la soprano canadienne assez prudente, elle se montre plus flamboyante dans le second, aux impeccables piqués et contre-fa.
On est plus réservé sur Guilhem Worms. Le baryton-basse français est correct en Orateur, mais se révèle nettement insuffisant pour Sarastro, dont il ne possède ni le grave sonore, ni la noblesse de ligne, avec une émission tubée et, de fait, peu projetée. Heureusement, la mise en scène lui confère l’autorité que ses moyens lui refusent.
Le plateau est complété par le Monostatos du ténor espagnol Pablo Garcia Lopez qui, s’il ne chante pas toujours assez ses phrases, au profit d’effets de parlando, n’en est pas moins virevoltant.
Un spectacle magique, dont chacun, de 7 à 77 ans – et même en deçà et au-delà ! –, ressort comblé.
THIERRY GUYENNE