Opernhaus, 6 mars
Pour commémorer le centenaire de la disparition de Franz Kafka (1883-1924), l’Opernhaus de Zurich propose Amerika (L’Amérique). Un ouvrage de Roman Haubenstock-Ramati, inspiré du court roman éponyme, et inachevé, de l’écrivain, également connu sous le titre Der Verschollene (Le Disparu) – l’errance, dans le Nouveau Monde, de Karl Rossmann, fils de bonne famille allemande, enjoint à se faire oublier outre-Atlantique, après avoir engrossé une servante.
Né à Cracovie, en 1919, Roman Haubenstock adjoint à son nom celui de Ramati, lors de son séjour en Palestine, en 1943. Revenu en Pologne, en 1947, il dirige la rubrique musicale à la Radio de Cracovie. Après être passé à l’Ouest, il partage son temps et ses enseignements entre Tel Aviv, Stockholm, Darmstadt, Buenos Aires et Vienne, où il s’éteint, en 1994. Outre Amerika, il laisse Comédie, « anti-opéra » en un acte, d’après la pièce de Samuel Beckett.
Mais Amerika est-il un opéra ? Créé à Berlin, en 1966, l’ouvrage transcende les catégories traditionnelles. Le représenter aura requis, outre l’orchestre « normal » d’une centaine de musiciens (Philharmonia Zürich), trois ensembles et un chœur parlé préenregistrés, dans un jeu de dialogues avec l’orchestre en direct, restitué à travers une batterie de soixante-six haut-parleurs, pour assurer une spatialisation maximale dans toute la salle.
Mais il aura fallu, aussi, six mois de travail à Gabriel Feltz pour comprendre et déchiffrer la partition, écrite dans une notation graphique, avec des signes calligraphiés et des indications totalement atypiques. Coup de chapeau au chef allemand, qui a su maîtriser et restituer un ouvrage difficile et ingrat.
Divisée en deux parties et vingt-deux scènes, qui s’enchaînent comme dans un film, l’œuvre est donnée sans entracte. Théâtre musical plus qu’opéra, au sens propre du terme, c’est une juxtaposition de cellules sonores, qui fusent pupitre par pupitre (ou haut-parleur par haut-parleur), sans plaisir du chant.
Radicale, l’écriture musicale porte, sans conteste, la marque de son temps, et on peut douter que ce retour à l’affiche soit l’amorce d’une réhabilitation plus large. Il n’en faut pas moins saluer les performances des solistes, et tout particulièrement, celles du jeune ténor Paul Curievici – Karl est presque constamment en scène, et ce qui lui est demandé est aussi physique que vocal –, de la soprano Mojca Erdmann, en colorature sérielle, et de la mezzo Allison Cook, dans le rôle plutôt caricatural de Brunelda.
Arrivant avec son étiquette de provocateur patenté, Sebastian Baumgarten signe un spectacle foisonnant, un théâtre d’images, dont les inspirations successives colorent la soirée. Une première partie plutôt esthétisante, avec de très beaux tableaux, où les décors, les lumières et la vidéo insufflent une réelle profondeur au propos, permet au spectateur de surmonter l’aridité de la partition, pour s’installer en mode contemplatif.
Puis, dans la seconde partie, comme s’il en avait assez d’être sérieux, le metteur en scène allemand, laissant son naturel revenir au galop, passe à une bouffonnerie pesante, qui afflige plus souvent qu’elle ne fait rire.
NICOLAS BLANMONT