Théâtre Liberté, 8 mars
Conçue pour l’Académie Royale de Musique de Paris, en août 1774, et dédiée à la reine Marie-Antoinette, la version française d’Orphée et Eurydice de Gluck se heurte, souvent, à la difficulté du choix de l’interprète masculin, capable de soutenir la tessiture extrêmement tendue du rôle-titre. Si le ténor malgache Sahy Ratia ne manque pas de courage, en se confrontant, pour la première fois, à cette figure mythique, on constate, malheureusement, que les ressources intrinsèques de sa voix ne lui permettent pas de sublimer tous les élans plaintifs du protagoniste.
Outre un timbre un rien nasal, une vélocité laborieuse (les vocalises de « L’espoir renaît dans mon âme » sont prises en force), la véritable faiblesse du chanteur tient, assurément, à son sens rudimentaire de la déclamation. De fait, dans sa bouche, les mots perdent de leur substance (« Vos plaintes, vos regrets, augmentent mon supplice ! »), l’affect apparaît factice (« Objet de mon amour ! »), et le geste théâtral contraint (« Viens, viens, Eurydice, suis-moi ! »). L’Orphée de Sahy Ratia manque, dès lors, cruellement d’étoffe, malgré une évidente aisance en scène.
Face à lui, l’Eurydice vocalement capiteuse d’Hélène Carpentier instaure un contrepoint curieux, pour ne pas dire déséquilibré. Aussi, l’écart émotionnel entre les amants se creuse-t-il toujours un peu plus, au fil du récit. Malgré les multiples tentatives de l’Amour, incarné par la piquante Emy Gazeilles, pour parvenir à les rapprocher, l’alchimie entre les deux interprètes n’opère pas.
Peut-être est-ce dû, aussi, à la mise en scène, plutôt glaciale et visuellement répétitive, de Pierre Audi. Car, entre les danseurs enfermés dans des contorsions permanentes par le chorégraphe Arno Schuitemaker, et le va-et-vient continuel des protagonistes entre deux cadres noirs en bois, recouverts de gaze, elle n’invite guère à s’émouvoir.
Les vidéos ondoyantes de Gilbert Nouno et les tenues unicolores d’Haider Ackermann s’inscrivent, quant à elles, sans peine dans cette esthétique austère d’outre-tombe. Créée à Florence, dans le cadre du Maggio Musicale Fiorentino, en avril 2022 (voir O. M. n° 183 p. 38 de juin), cette production n’est, en fin de compte, ni la plus inspirée, ni la plus représentative du talent de Pierre Audi.
Dans la petite fosse du Théâtre Liberté, les pupitres de l’Orchestre de l’Opéra de Toulon, renforcés pour l’occasion par les cuivres naturels de l’Ensemble Matheus, imposent de superbes inflexions, malgré l’implacable matité de l’acoustique. Tandis que les cordes se distinguent par leur vigoureuse netteté, bois et cuivres réveillent les sens par leurs couleurs stimulantes.
Sous l’impulsion très structurée et nuancée de Jean-Christophe Spinosi, les différentes atmosphères musicales se révèlent, ainsi, tour à tour brillantes, délicieusement timbrées, et virtuoses. Le chœur Vox 21, enfin, se montre remarquable de cohésion, de profondeur et d’impact, chacune de ses interventions distillant une émotion frémissante et palpable.
À tous égards, les ressources chorales et instrumentales sauvent cet Orphée et Eurydice d’un ennui certain.
CYRIL MAZIN