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Le couplage réussi de Pulcinella et de L’Heure espagnole à Paris

21/03/2024
Jean-Sébastien Bou (Ramiro) et Stéphanie d'Oustrac (Concepcion) dans L'Heure espagnole. © Stefan Brion

Salle Favart, 9 mars

Spectacle d’une rare intelligence, le couplage de Pulcinella – « ballet avec chant » d’Igor Stravinsky (Opéra de Paris, 1920) – et de L’Heure espagnole – « comédie musicale » de Maurice Ravel (Opéra-Comique, 1911) –, dans la mise en scène virtuose de Guillaume Gallienne, sociétaire de la Comédie-Française, est porté, non seulement par la direction musicale passionnée de Louis Langrée, mais aussi par deux distributions (chorégraphique et lyrique) exemplaires. Comment s’étonner, alors, du triomphe que tous remportent ?

Le décor imaginé par Sylvie Olivé installe une tour centrale, élément clé des deux actions. Merveilleusement éclairé par John Torres, il évoque le monde onirique d’un De Chirico. Dans Pulcinella, les six danseurs – Polichinelle, la Fiancée, deux Hommes bravaches, deux Femmes coquettes – conjuguent costumes les plus classiques (pointes, tutu…) et danse moderne, dans la chorégraphie de Clairemarie Osta.

Camille Chopin et Abel Zamora, membres de l’Académie de l’Opéra-Comique, auxquels s’ajoute l’expérimenté François Lis, chantent les airs de Pergolesi – dont, tiré des Arie antiche, « Se tu m’ami » – et un trio, extrait de Lo frate ’nnamorato. Ces interventions s’incorporent à l’action. Harcelé pour son étrangeté, Pulcinella fait croire qu’il se suicide. Mais n’est-il pas immortel ?

Pour L’Heure espagnole, la tour hérissée de créneaux dentelés, qui peuvent faire songer à la mécanique d’horlogerie, se transforme en un escalier, menant à la chambre de Concepcion. Les horloges et les automates nous introduisent, non dans la Tolède du XVIIIe siècle, mais dans le surréalisme du XXe.

Idéale, la distribution réunit quelques-uns des meilleurs interprètes français, fidèles au vœu de Ravel : déclamer plutôt que s’abandonner au chant. Stéphanie d’Oustrac, robe de mousseline abricot clair, mine gourmande, puis furieuse, enfin apaisée, campe une Concepcion d’anthologie, avec ce qu’il faut de sous-entendu, sans jamais risquer le scabreux, auquel incitent les allusions du texte de Franc-Nohain. L’explosion de sa rage, « Oh ! la pitoyable aventure », est menée avec un parfait contrôle vocal.

Philippe Talbot campe un Torquemada comique par sa dignité d’horloger officiel et de commerçant vétilleux. Benoît Rameau chante, ou mieux, « belcantise » en Gonzalve, poète précieux, plus habile à la déclaration ornée qu’au passage à l’acte. En Ramiro, Jean-Sébastien Bou montre que, non seulement « [sa] façon » réside dans « [ses] épaules », mais qu’il va aussi satisfaire d’autres exigences. Nicolas Cavallier, enfin, offre un Don Inigo Gomez magistral de prestance, d’autorité vocale et de style.

L’Orchestre des Champs-Élysées, à la parfaite alchimie sonore (cordes, cors, métronomes), l’exceptionnelle direction d’acteurs de Guillaume Gallienne, au plus près de la rigueur musicale, méritent la gratitude d’un public enthousiaste.

PATRICE HENRIOT

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