Est–ce parce qu’il s’agit plutôt d’un oratorio ou que sa musique, particulièrement riche en couleurs, stimule l’imagination des plasticiens ? Toujours est-il que Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen (Paris, 1983) est régulièrement confié à des personnalités venues des arts visuels.
Après Ilya et Emilia Kabakov, à la Ruhrtriennale de Bochum, en 2003, et Hermann Nitsch, à Munich, à l’été 2011 (voir O. M. n° 66 p. 50 d’octobre), c’est à Adel Abdessemed qu’échoient la mise en scène, les décors, les costumes et la vidéo de cette nouvelle production, qui verra enfin le jour, le 11 avril, au Grand Théâtre de Genève – où elle était programmée, à l’origine, en juin 2020 –, sous la direction musicale de Jonathan Nott.
Célèbre pour une œuvre traitant, surtout, de la violence et de l’animalité, et qui a souvent suscité la polémique – comme la fameuse sculpture, un temps exposée à Paris, devant le Centre Pompidou, représentant le coup de tête que Zidane donna à Materazzi, lors de la Coupe du monde de football, en 2006 –, Adel Abdessemed n’a encore jamais été confronté aux exigences de la scène.
« Aviel Cahn, le directeur général du Grand Théâtre, a toujours été sensible à l’art contemporain ; c’est lui qui est venu me chercher, explique-t-il. Son principal argument était que, n’étant pas moi-même catholique, j’aurais un regard différent sur l’œuvre. J’ai d’abord hésité, parce que j’avais peur de ne pas être à la hauteur. Mais il a insisté, et j’ai fini par donner mon accord. Même s’il s’agit d’une lourde responsabilité. »
S’il n’a pas d’expérience en matière d’opéra, Adel Abdessemed en est, toutefois, très amateur. Et il est fasciné par cette œuvre puissante, qui fait écho à l’imagerie religieuse, en renvoyant, notamment, aux fresques de Giotto.
« Dans notre époque meurtrie, la question de la douleur et du doute résonne particulièrement, poursuit l’artiste franco-algérien. Saint François parle de l’humble, de la langue de Dieu, mais aussi de la forêt et de tout ce qui nous entoure, en allant bien au-delà de l’aspect strictement chrétien. L’ouvrage porte un message universel, vers l’écoute de l’Autre, le rythme des animaux et de la nature – surtout quand on sait que, dans ce monde, c’est l’Homme qui est le plus grand prédateur. J’y vois un long poème, doux et mystique, qui exprime le pouvoir de la méditation.
Pour l’évoquer, j’ai réalisé des vidéos ramenant à la nudité, présentes dans la plupart des tableaux, et qui ont un caractère autobiographique. Messiaen a créé une œuvre de piété, qui peut sembler différente, a priori, de mon univers, mais s’y rattache par sa force et sa spiritualité. »
PATRICK SCEMAMA