Opéras Le son de Simon Boccanegra à Milan
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Le son de Simon Boccanegra à Milan

07/02/2024
Luca Salsi (Simon Boccanegra) et Charles Castronovo (Gabriele Adorno). © Teatro alla Scala/Brescia/Amisano

Teatro alla Scala, 1er février

Juste avant le début de la représentation, Dominique Meyer, surintendant de la Scala, apparaît devant le rideau, non pas pour annoncer l’indisposition de tel ou tel chanteur, mais pour rappeler la toute récente récompense obtenue par l’orchestre maison, élu « Best Orchestra » aux « Oper ! Awards 2024 ».

Dès les premières mesures du Prologue de Simon Boccanegra, les instrumentistes s’emploient à démontrer qu’ils n’ont pas volé leur prix, imposant un son à la fois souple, nuancé et enveloppant. La direction de Lorenzo Viotti privilégie les atmosphères crépusculaires, avec des teintes sombres, des tempi retenus, de longues pauses et une attention toute particulière aux détails de l’orchestration.

Au risque de manquer un peu de nerf et d’élan, dans les passages où il est nécessaire d’allumer le feu dans la fosse, comme la fin du Prologue ou la grande scène du conseil. Jouer la carte du pessimisme et de la mélancolie n’a rien de répréhensible dans Simon Boccanegra ; encore faut-il ne pas perdre de vue la tension dramatique.

Le rôle-titre correspond très bien aux possibilités vocales actuelles de Luca Salsi, ainsi qu’à son tempérament. Dès lors, le baryton italien peut déployer, en s’appuyant sur son émission solide et bien projetée, un phrasé intense et sophistiqué, au service d’un personnage dolent, amer, résolument humain et rarement agressif.

Tout le contraire du modeste Jacopo Fiesco d’Ain Anger, privé d’épaisseur et d’autorité dans le grave, pourtant essentielles dans cet emploi. La prononciation de la basse estonienne, de surcroît, n’est pas irréprochable, et le chant reste aussi détimbré que monocorde.

Fragilisée par des prises de rôles trop risquées (Aida, Elisabetta dans Don Carlo…), la voix d’Eleonora Buratto accuse, en Amelia Grimaldi, une usure prématurée : la couleur est moins brillante, le phrasé moins varié, les aigus trop souvent stridents et/ou oscillants. Une situation préoccupante, pour l’avenir de la soprano italienne.

Ardent et passionné, comme l’exige Gabriele Adorno, le ténor américain Charles Castronovo franchit plus que dignement les écueils d’une tessiture piégeuse. Son phrasé est éloquent, quoique privé du mordant typiquement verdien. Solide, soucieux des détails du texte, Roberto De Candia campe un excellent Paolo Albiani, au côté du Pietro simplement correct d’Andrea Pellegrini.

Le chœur de la Scala demeure, dans ce répertoire, une incontournable référence : quelle cohésion, quelle netteté de diction, quelle maîtrise de l’arc dynamique et expressif de Verdi, dans cet opéra, en particulier !

Succédant à l’indigent spectacle de Federico Tiezzi, vu au moins quatre fois, entre 2010 et 2018, la nouvelle production de Daniele Abbado s’avère tout aussi insipide, sur le plan visuel, et creuse, sur le plan dramaturgique. Quand on pense que, dans les années 1970, le public milanais se plaignait de la trop fréquente programmation de la légendaire mise en scène de Giorgio Strehler…

L’intrigue, ici, se déroule dans un énorme conteneur grisâtre, ressemblant beaucoup à l’un de ces hangars désaffectés, que l’on trouve dans les friches industrielles. En glissant, ses parois dévoilent quelques éléments, auxquels Daniele Abbado attribue une valeur symbolique : les haubans d’un énorme voilier, des lumières colorées, un magnolia…

En y ajoutant les habituels agitateurs de drapeaux, les corps-à-corps entre factions opposées et les figurants courant de part et d’autre du plateau, on prend la mesure de la banalité d’un spectacle minimaliste à l’excès, encore handicapé par des costumes atemporels, dont on perçoit mal le sens et la fonction, et une direction d’acteurs inexistante.

PAOLO DI FELICE

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