Opéras Die Soldaten enfin de retour à Paris
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Die Soldaten enfin de retour à Paris

07/02/2024
© Antoine Benoit-Godet/Cheeese

Philharmonie, Grande Salle, 28 janvier

Il y aurait beaucoup à dire sur la place accordée, en France, à Die Soldaten de Bernd Alois Zimmermann, et plus généralement à la musique de ce compositeur allemand, disparu tragiquement, en 1970, à l’âge de 52 ans.

Créé, en 1965, à Cologne, par Michael Gielen et le Gürzenich-Orchester Köln, l’opéra attendit 1983 pour sa première française, à l’Opéra de Lyon, sous la direction musicale de Serge Baudo, et dans une mise en scène de Ken Russell. L’Opéra National de Paris programma, onze ans plus tard, la reprise de la production signée Harry Kupfer – fort heureusement captée au disque (CD Teldec) et en vidéo (DVD Arthaus Musik), à Stuttgart, en 1989, sous la baguette de Bernhard Kontarsky. Et depuis ? Rien.

C’est dire combien cette unique représentation  faisait partie des événements incontournables de la saison. Certes, la Philharmonie de Paris n’est pas l’espace idéal pour un opéra construit sur le concept d’une sphéricité musicale et scénique – repris par Carlus Padrissa, de La Fura dels Baus, dans la production, déjà dirigée par François-Xavier Roth, à Cologne, en mai 2018 (voir O. M. n° 140 p. 42 de juin).

Supérieure en bien des points, notamment un décor pluridimensionnel, qui mêlait astucieusement orchestre et chanteurs, la remarquable mise en scène de Calixto Bieito, à l’Opernhaus de Zurich, cinq ans plus tôt (voir O. M. n° 89 p. 63 de novembre 2013), se trouve, ici, limitée à une simple mise en espace.

Les protagonistes sont alignés sur un seul plan, avec quelques accessoires, comme des casques militaires, pour combler la quasi-absence de costumes. L’action est réduite à une série de situations, qui forment les étapes du chemin de croix, illustrant le martyre et l’humiliation de Marie,  comme objet de prédation sexuelle.

Déjà présente dans la production de 2018, à l’instar d’autres interprètes de cette soirée, l’excellente Emily Hindrichs restitue toute la complexité de ce caractère psychologique, où se lit une naïveté adolescente, changée en instrument de vice.

Dans la galerie des figures féminines, on relèvera la Charlotte de Judith Thielsen, à la palette moins versatile, et, plus encore, la courte et saisissante apparition de Kismara Pezzati imposant, dans la Vieille Mère de Wesener, un timbre capiteux, auquel elle ajoute un réalisme aux confins de la crise maniaco-dépressive.

Ancienne interprète de Marie, notamment au Festival de Salzbourg, en 2012 (DVD EuroArts), Laura Aikin donne à la Comtesse les atours d’un personnage où la domination perverse laisse percer la fêlure secrète d’un trauma, tandis qu’Alexandra Ionis surligne la Mère castratrice, écrasant sous une pluie d’aigus et de mélismes vrillés ce pauvre Stolzius. L’excellent Nikolay Borchev donne à entendre, chez ce fils soumis, les inflexions et les accents d’une révolte souterraine, qui en font un double de Wozzeck.

Parmi les autres voix masculines, le timbre abyssal et sonore du Wesener de Tomas Tomasson domine les débats, tandis que Wolfgang Stefan Schwaiger et Martin Koch puisent leur perversité dans un registre vocal proche du dérèglement psychologique, contrastant avec la fausse bonhomie d’Oliver Zwarg, en Eisenhardt.

L’auditeur pénètre dans les arcanes de cette partition redoutable, grâce au geste précis et concentré de François-Xavier Roth, qui détache, à l’écoute, tous les éléments de cette fresque, comme si elle se construisait en direct. L’effectif délirant du Gürzenich-Orchester déborde de toute part, envahissant le parterre et multipliant, dans les étages et les couloirs de la Philharmonie, des groupes de percussions, qui viennent augmenter encore la résonance naturelle des accords initiaux, marqués « in ritmo ferreo » (« sur un rythme de fer »), ou bien le fracas précédant le déclenchement conclusif de la bande électroacoustique.

DAVID VERDIER

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