Opéra, 24 janvier
Cette nouvelle production de Giulio Cesare, voulue par et conçue autour de Cecilia Bartoli, à la fois tête d’affiche et à la tête de l’Opéra de Monte-Carlo, a été étrennée, cet automne, en concert, lors d’une tournée, qui a fait halte au Théâtre des Champs-Élysées, les 23 et 25 octobre dernier.
À l’exception d’Achilla – un Peter Kalman d’une vigueur décidément bonne à tout faire –, et de Nireno et Curio, comprimari inessentiels, dont le rétablissement, pour la version scénique, donne quelques fugaces occasions à Federica Spatola et Luca Vianello de se faire, plus ou moins, remarquer, la distribution est inchangée.
Les dimensions intimes de la Salle Garnier rétablissent un équilibre bienvenu entre des voix, dont les projections avaient paru, à Paris, diversement limitées, au détriment de l’unité du plateau. D’autant que les principaux rôles masculins sont tenus par des contre-ténors.
Max Emanuel Cencic en profite, assurément, dont le timbre a perdu en émail, comme en velours, mais en rien sa signature singulière. Rarement cette personnalité aux multiples casquettes – il est aussi metteur en scène et directeur artistique du « Bayreuth Baroque Opera Festival », où il les cumule toutes – aura paru aussi déchaîné que dans ce portrait, en forme de composition grimaçante et drolatique, d’un Tolomeo plus bêta et alcoolisé que foncièrement mauvais.
En Sesto, auquel échoit l’air de substitution « Scorta siate a passi miei » – curieusement, dans la mesure où Haendel l’écrivit, pour une reprise, à l’intention d’un ténor, l’illustre Francesco Borosini –, Kangmin Justin Kim laisse plus partagé. L’élégie réussit à cette émission capable de suspensions éthérées, sans renoncer, ni à une assise corporelle plutôt rare chez les falsettistes, ni au legato. Mais elle tend, dès que le fils de Pompeo réclame une vindicative pugnacité, à virer au caquetage, au point de passer pour une caricature de mezzo féminin – n’est-ce pas, d’ailleurs, sa parodie de la maîtresse des lieux, manifestement tout sauf rancunière, l’inénarrable « Kimchilia Bartoli », qui l’a fait connaître ?
Carlo Vistoli ne possède assurément pas, malgré ses sauts dans un registre de baryton tonnant, la profondeur de la tessiture du créateur de Giulio Cesare, le castrat alto Senesino – mais qui, hormis Bejun Mehta, peut y prétendre ? Un théâtre de cette taille lui permet, néanmoins, de faire mieux qu’illusion. Car si la couleur demeure assez banale, l’art du chant impressionne, tant dans la vélocité martelée que dans les envolées amoureuses et poétiques, qui mettent l’héroïsme du conquérant en sourdine.
Authentique contralto, par son centre de gravité, plutôt que par l’ampleur d’un instrument demeuré quasiment intact, Sara Mingardo prodigue une leçon de coloration et de dosage du poids de chaque consonne. Rien ne pouvait, cependant, lui arriver de pire que la vilaine perruque dont Cornelia est coiffée – mais ni Carlo Vistoli, ni Cecilia Bartoli ne sont vraiment mieux lotis en la matière.
Cette dernière luttant contre les restes d’une bronchite persistante, ainsi que l’annonce en est faite avant la représentation, l’indulgence du public est sollicitée, au cas où elle serait prise en flagrant délit de « tousser une ou deux fois, au cours de la soirée. » Rien de tel ne se produira, ou alors à l’abri des regards.
Plus de trente-cinq années de carrière au sommet excusent, quoi qu’il en soit, le – très relatif – raidissement de la ligne, comme une dynamique, osant toujours la plus frémissante ténuité, mais ne s’aventurant plus au-delà du mezzo forte. Davantage que « Se pietà », d’ailleurs encombré de figurants, « Piangero » est le grand moment de cette Cleopatra, dont l’autodérision fait mouche, au risque de l’excès, tandis qu’un tempo modéré prive « Da tempeste » de jubilation.
Ailleurs, Gianluca Capuano, aux commandes de l’orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco – en effectif luxueux, pour aujourd’hui, mais un rien en deçà de celui dont Haendel disposait –, est d’une franche vivacité, soulignée par les variations, musicologiquement douteuses, de tout l’orchestre dans les da capi.
Quasiment en résidence, cette saison, à l’Opéra de Monte-Carlo, où il a présenté, presque simultanément, en novembre, le spectacle « Caruso à Monaco », avec Jonas Kaufmann et Antonio Pappano, et un nouveau Don Carlo, Davide Livermore ordonne, une fois encore, avec la complicité des collectifs Gio Forma, pour les décors, et D-Wok, pour la vidéo, un mariage entre la surcharge et le clinquant, supposés flatteurs, aux yeux des nostalgiques d’une conception fastueuse du théâtre lyrique, et des technologies d’animation dernier cri.
Dans cette tentative d’actualisation d’un illusionnisme censément baroque, des images de monuments de l’Égypte antique, vus depuis le Nil, et de mer, dont l’agitation se veut le reflet des affetti exprimés dans les airs, sont projetées sur les écrans délimitant le fond et les côtés du plateau, à l’arrière-plan d’une structure figurant le pont d’un bateau de croisière, baptisé « Tolomeo ».
Car le metteur en scène italien, tout en accentuant la dimension comique – en écho aux origines vénitiennes du livret –, transforme Giulio Cesare en une espèce de « whodunit », à la manière d’Agatha Christie. En l’occurrence : qui a tué Pompeo ? Eh bien, quasiment tous les protagonistes, ainsi que le révèle un film projeté durant les saluts. Comme dans Le Crime de l’Orient-Express, donc, mais sur fond, « Années folles », de Mort sur le Nil.
L’agitation est, le plus souvent, à son comble, entre séquence de music-hall, avec le gag, interminable jusqu’au pléonasme, de la cadence de « Se in fiorito ameno prato », qui n’en finit pas de pas finir, au grand dam de son violon obligé – l’excellent Thibault Noally –, et raid aérien, puis mise aux fers dans la salle des machines. Le tout, d’un goût qui, au nôtre, est effroyablement mauvais.
MEHDI MAHDAVI