Nationaltheater, 10 janvier
Le Bayerische Staatsoper de Munich, tout comme le Staatsoper de Vienne, a besoin, en permanence, d’avoir Die Fledermaus à son répertoire. Impossible, en effet, d’y envisager une soirée de Saint-Sylvestre, sans cet indispensable ingrédient de réveillon. Une production qui peut ne sortir des réserves qu’une seule fois par an, mais toujours un moment festif, et parfois, aussi, de grâce.
Ce fut le cas du spectacle d’Otto Schenk, entré au répertoire, le 31 décembre 1974, et qui s’y est maintenu, ensuite, pendant presque un quart de siècle – lors des débuts, Carlos Kleiber y portait, jusqu’à l’extase de trois temps de valse idéalement vertigineux, une distribution de légende.
Et puis, ce fut le trou noir de la mise en scène de 1997, scandale d’une soirée de 22 décembre, où Leander Haussmann osait proposer, en guise de relève, un brûlot inconsistant, qu’il fut facile d’expurger, ensuite, de tout ce qui fâchait, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une enveloppe de routine.
Un autre bon quart de siècle plus tard, il était temps d’oser mieux. Avec une production confiée au directeur musical en titre, Vladimir Jurowski, et au meilleur spécialiste actuel de l’opérette viennoise, Barrie Kosky. Cela dit, les miracles ne s’obtiennent pas forcément sur commande. Et ce dernier, même nimbé d’un prestige évident, a, peut-être, voulu trop bien faire.
Son spectacle est parfait, serti dans les décors mouvants de Rebecca Ringst : échafaudages tapissés de reproductions photographiques grand format de façades d’immeubles viennois, incessamment recombinés ; structures métalliques, qui, au III, se dénudent, pour ne plus former qu’un froid dispositif carcéral.
Les chorégraphies d’Otto Pichler sont piquantes, très présentes dès l’Ouverture – un ballet de chauves-souris un peu inquiétant –, voire endiablées, culminant, au II, avec une Schnell-Polka (Unter Donner und Blitz) déchaînée. Les dialogues parlés évitent, avec tact, la farce vulgaire et l’anachronisme facile, doigté qui prévaut, aussi, pour un III complètement repensé, avec un Frosch démultiplié en six incarnations différentes, parmi lesquelles l’impayable Max Pollak, dont le numéro de danse percussive, sur la Pizzicato-Polka, vaut son pesant de claquettes.
Et pourtant, à l’instar de l’incorrigible Prince Orlofsky, dont le « grand souper » est ici – évidemment ? – complètement queer, on s’ennuie un rien, ou du moins, on attend longtemps de s’amuser vraiment. Parce que tout paraît trop bien calculé, mesuré, assaisonné, chaque numéro s’enchaînant à la perfection au précédent, comme une revue de cabaret. Souvent, des étincelles s’allument, mais le feu peine à prendre durablement.
Peut-être, aussi, parce qu’en fosse, Vladimir Jurowski tient strictement les rênes, comme s’il redoutait les excès centrifuges de la valse. Tout est suprêmement beau, avec des soli instrumentaux à se pâmer, mais le rien de trop qui pourrait conduire à la griserie n’est jamais osé.
Tout cela pour rappeler que le genre de l’opérette est épouvantablement difficile. Mais le prestige de l’affiche, somme toute, fonctionne, y compris pour la distribution, malheureusement très affectée, ce soir-là, par un virus qui rend le timbre du savoureux Eisenstein de Georg Nigl rêche et gris, et Diana Damrau, carrément aphone.
On a donc droit à deux Rosalinde : cette dernière, sur le plateau, qui joue et parle, et une autre, chantant depuis le bord du plateau – Laura Aikin, pas non plus dans sa meilleure forme. Dès lors, c’est, surtout, la formidable Adele de Katharina Konradi qui tire son épingle du jeu, voire Eric Jurenas, Orlofsky cependant plus convaincant scéniquement que sur un strict plan vocal.
Détail piquant : on a vu, en décembre dernier, à l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt), ce jeune contre-ténor américain, en Prince Go-Go (Le Grand Macabre), dans exactement le même numéro de drag queen caractérielle, recouverte de trucs en plumes. Seule différence notable : son costume, alors, rouge vif, est, ici, vert menthe !
LAURENT BARTHEL