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Somptueuse Adriana Lecouvreur à Paris

29/01/2024
Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur) et Yusif Eyvazov (Maurizio). © Opéra national de Paris/Sébastien Mathé

Opéra Bastille, 16 janvier

Dans un théâtre du standing de l’Opéra National de Paris, une reprise d’Adriana Lecouvreur, ouvrage de diva par excellence, ne peut se justifier sans la présence d’une prima donna d’envergure. Après Angela Gheorghiu, en juin 2015 (voir O. M. n° 109 p. 65 de septembre), c’est au tour d’Anna Netrebko d’endosser les atours de la célèbre tragédienne de la Comédie-Française, tant admirée par Voltaire, dans la mise en scène de David McVicar, créée au Covent Garden de Londres, en décembre 2010 (voir O. M. n° 58 p. 46 de janvier 2011).

La soprano russo-autrichienne, qui n’en est pas à sa première Adriana, maîtrise désormais toutes les composantes d’un rôle idéalement inscrit dans ses cordes. Vocales, d’abord, avec ce timbre irrésistiblement velouté, capiteux, cette projection d’une puissance et d’un rayonnement sidérants, ce souffle infini, ces pianissimi aigus absolument divins. Stylistiques, ensuite, Anna Netrebko trouvant, dans ce répertoire italien du tournant du XIXe et du XXe siècle, son terrain d’épanouissement le plus favorable (voir sa Manon Lescaut, sa Maddalena dans Andrea Chénier…).

Souvent déplacée dans Verdi (pas besoin de remonter plus loin que sa toute récente Elisabetta, dans le Don Carlo d’ouverture de saison de la Scala !), sa manière de caresser les phrases, de mollir sur certaines courbes et tenues, s’inscrit tout naturellement dans les effluves décadentistes de l’opéra de Cilea. Le personnage y gagne en vulnérabilité et en émotion, la tragédienne s’imposant parallèlement, avec une autorité souveraine, dans la splendide et périlleuse tirade de Phèdre, au III (« Giusto cielo ! che feci in tal giorno ? »).

Faut-il pinailler ? Oui, s’agissant d’une artiste aussi douée et médiatisée. La voix d’Anna Netrebko s’est énormément alourdie et assombrie, au fil des ans, sans rien perdre, heureusement, de ses capacités d’allègement dans l’aigu. Du coup, il faut à la technicienne beaucoup d’habileté et de contrôle pour éviter d’appuyer dans le bas du registre. Elle n’y réussit pas toujours et, en cette soirée de première, deux ou trois graves outrageusement poitrinés, dans le duo du I avec Maurizio, transforment la femme éperdument amoureuse en harengère.

L’entourage, sans se hisser sur les mêmes sommets, est de haut vol, à commencer par des comprimari impeccablement distribués. Les signes d’usure, de plus en plus perceptibles chez Ambrogio Maestri, dans l’aigu notamment, ne nuisent pas à sa touchante composition de Michonnet. Et l’on ne peut que s’incliner devant la somptueuse et percutante Princesse de Bouillon d’Ekaterina Semenchuk, même si sa récente reconversion dans des emplois de soprano (Abigaille dans Nabucco, Lady Macbeth, Turandot) la conduit, parfois, à faire preuve d’une excessive prudence dans le grave.

La nature n’a pas doté Yusif Eyvazov d’une voix séduisante, ce qui constitue un handicap dans Maurizio. Mais, passé un air d’entrée laborieux, comment ne pas admirer la façon dont il s’en sert pour faire passer l’émotion, notamment au IV, où l’osmose avec sa partenaire (à la ville comme à la scène) atteint des vertiges de beauté et d’expressivité ? L’aigu, de surcroît, est aussi fiable que puissant, pour un résultat d’ensemble franchement convaincant.

À la tête d’un Orchestre de l’Opéra National de Paris dans une forme superbe, Jader Bignamini est l’homme de la situation. Sa direction, énergique quand il le faut, mais aussi capable de sensualité et d’abandon, soutient les chanteurs, en particulier dans un dernier acte décidément miraculeux.

En treize ans, la production n’a pas pris une ride. On peut faire plus fouillé sur le plan dramaturgique – par exemple, la mémorable mise en scène de Davide Livermore, à Monte-Carlo, puis à Saint-Étienne, en 2017-2018 –, mais Adriana Lecouvreur se satisfait d’un spectacle aussi somptueux et impeccablement réglé, ici repris par Justin Way.

Une précision, concernant les costumes : ceux d’Anna Netrebko sont différents de ceux créés pour Angela Gheorghiu. Ils sont aussi réussis, sauf, peut-être, la robe gris et or du II, absolument magnifique, mais qui n’égale pas la spectaculaire amazone jaune safran, à brandebourgs noirs, portée par la soprano roumaine.

RICHARD MARTET

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