Opéras Une Médée irremplaçable à Milan
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Une Médée irremplaçable à Milan

27/01/2024
Stanislas de Barbeyrac (Jason). © © Teatro alla Scala/Brescia and Amisano

Teatro alla Scala, 20 janvier

Ceux qui ont assisté aux deux premières soirées  de cette nouvelle production de Médée ont été jusqu’à parler d’une « seconde résurrection », à la Scala, du chef-d’œuvre de Cherubini, dans l’original français, après celle opérée par Maria Callas, en 1953, pour la version italienne. Protagoniste, cette fois, une cantatrice au tempérament certes moins magnétique, mais aux moyens tout aussi exceptionnels : Marina Rebeka – substituée, avant le début des répétitions, à Sonya Yoncheva, initialement annoncée.

Hélas, pour sa Médée, unanimement saluée avec enthousiasme, on s’en remettra au compte rendu de Mehdi Mahdavi, qui, en novembre 2023 (voir O. M. n° 199 p. 59 de février 2024), assistait à sa prise de rôle, au Staatsoper de Berlin. Car la soprano lettone, frappée par un virus saisonnier, a dû annuler cette troisième représentation milanaise. Et c’est peu dire que son absence laisse un sentiment de vide, tant le spectacle, que ce soit sur le plan musical ou théâtral, a été construit autour de l’héroïne, dont sa remplaçante, faute de répétitions, est incapable d’assumer tout le poids tragique.

Honneur, cependant, à Maria Pia Piscitelli d’avoir sauvé la soirée in extremis, avec à peine le temps, le jour même, de recevoir les instructions scéniques ! Il est vrai que la soprano italienne avait déjà le rôle-titre dans ses cordes, pour l’avoir abordé, voici quinze ans, en italien, et interprété, à nouveau, l’automne dernier, en français, cette fois, au Teatro Real de Madrid.

Si elle n’a pas vraiment convaincu, en dépit de quelques moments d’une poignante intensité (« Du trouble affreux qui me dévore », au III), c’est moins pour une question d’endurance vocale, malgré quelques baisses d’intonation ou stridences dans l’aigu, que de style : pas de Médée réussie, sans un art souverain de la déclamation. Mais il est si rare d’être à son meilleur dans l’urgence que Maria Pia Piscitelli aura, tout de même, mérité les applaudissements d’un public plus clément que d’habitude.

D’autant que le reste de la distribution est loin d’éclipser la protagoniste. De Stanislas de Barbeyrac, Jason déjà à Berlin, Mehdi Mahdavi notait les difficultés d’émission dans le haut de la tessiture, ici partiellement résolues par une maîtrise technique plus solide, sans que le ténor français parvienne à dissimuler un effort palpable, au détriment des nuances et de la caractérisation du personnage.

Et si Nahuel Di Pierro manque cruellement d’éclat et d’autorité dans la peau de Créon, la Dircé de Martina Russomanno affadit, par la raideur du phrasé, les charmes d’un timbre solaire et d’une colorature impeccable. De même, l’expressivité touchante d’Ambroisine Bré, en Néris, se voit estompée par sa voix trop mince.

C’est donc ailleurs qu’il faut trouver son bonheur. Chez les chœurs, par exemple, admirablement préparés par Alberto Malazzi, et plus encore dans la fosse, où la baguette de Michele Gamba réussit la quadrature du cercle. À mille lieues de toute approche romantique, il impose une architecture symphonique, tout en exaltant, en vrai chef de théâtre, la force tragique de la partition, avec ses accents tranchants, ses couleurs exacerbées, ses contrastes insoutenables. Le tout en résonance avec la mise en scène de Damiano Michieletto, d’une rare concentration.

Loin de la surcharge d’idées qui affecte, parfois, son travail, le metteur en scène italien remonte, dans le plus simple des décors – un intérieur bourgeois, moderne et épuré –, aux sources authentiques de la tragédie : un mélange de fatalisme, pesant sur les choix des personnages, et d’ambiguïté, dans le jugement porté sur leurs fautes.

Pour mieux brouiller la frontière entre bien et mal, Damiano Michieletto introduit le point de vue des deux enfants de Médée et Jason, hissés au rang de protagonistes. Omniprésents sur le plateau, où ils sont ballottés entre les parents et jouent en scrutant leurs intentions, avant de rentrer dans leur chambre, en fond de scène, on les entend même se faire des confidences, en chuchotant.

Car c’est par leurs voix enregistrées qu’ont été remplacés les dialogues parlés : ils disent des textes écrits par le dramaturge, Mattia Palma, pour relater leur point de vue, forcément décalé, sur la situation qui les entoure – presque un récit parallèle, qu’ils inventent, en interpolant paroles et actes des adultes, pour se donner du courage.

Ainsi, ils ne se verront pas administrer la mort par la boisson que Médée leur donnera, au coucher : ce ne peut être qu’un philtre, pour s’endormir plus vite. Dernier geste – montré à l’écran, comme en caméra cachée – d’une femme désespérée, venue troubler le confort d’une maison bien propre, à l’image de ces morceaux de charbon qu’elle déverse sur la table basse du salon, à son entrée, et dont elle se sert pour écrire « Maman vous aime » sur le mur, devant la chambre, au II, à l’endroit précis où s’ouvrira une brèche prémonitoire, au début du III.

Des images à la forte charge symbolique s’enchaînent, ainsi, tout au long du spectacle, avec une maîtrise époustouflante de la tension dramatique. Autant de jalons d’une lecture cohérente, habitée, poussant à l’extrême l’ambition cathartique.

PAOLO PIRO

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