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Aude Extrémo sur les cimes de La Montagne noire à Dortmund

27/01/2024
Sergey Radchenko (Mirko) et Aude Extrémo (Yamina). © Björn Hickmann

Theater, 13 janvier

En coproduction avec l’inlassable équipe musicologique du Palazzetto Bru Zane, le Theater Dortmund invite à la découverte du seul opéra d’Augusta Holmès (1847-1903) représenté de son vivant, La Montagne noire, créé au Palais Garnier, le 8 février 1895. La distribution, somptueuse, réunissait, sous la direction musicale de Paul Taffanel, les plus grands chanteurs de la troupe de l’Opéra de Paris, familiers des grands rôles wagnériens et verdiens : Lucienne Bréval (Yamina), Lucy Berthet (Héléna), Meyriane Héglon (Dara), Albert Alvarez (Mirko), Maurice Renaud (Aslar), Léon Gresse (Le Père Sava).

Ce « drame lyrique », en quatre actes et cinq tableaux, a pour librettiste Augusta Holmès, elle-même. Entre histoire et légende, l’intrigue retrace la résistance du peuple monténégrin contre l’occupant ottoman, en 1657. Il faut rappeler, à cet égard, que le Monténégro était à la mode, en France, à cette époque, et ce depuis la première moitié du XIXe siècle. Le compositeur belge Armand Limnander de Nieuwenhove, élève de Fétis, écrivit, ainsi, Les Monténégrins, créé à l’Opéra-Comique, en 1849 – parmi les librettistes, se trouvait un certain Gérard de Nerval.

Dans La Montagne noire, deux guerriers, Mirko et Aslar, se jurent une fidélité éternelle à la cause nationale et deviennent, ainsi, comme des frères, bénis par un pope, le Père Sava. Une « femme fatale », Yamina, va séduire Mirko et l’entraîner à déserter son pays. Ni sa mère, Dara, ni sa fiancée, Héléna, ne parviendront à le retenir.

La nouvelle édition du Palazzetto Bru Zane rétablit des pages supprimées pour la création parisienne, comme le second tableau de l’acte IV. L’ouvrage, loin du stéréotype, interroge, alors, la part de mythe qu’enveloppent histoire officielle et roman national. Il s’achève sur un malentendu : le Père Sava bénit les deux héros prétendus, comme s’ils étaient victimes de la cause patriotique, alors qu’ils se sont entretués.

L’orchestration, riche et colorée, valut à Augusta Holmès l’inévitable accusation journalistique de wagnérisme, mais aussi les éloges de Franck, Saint-Saëns et Debussy. Elle nous évoque, surtout, Massenet (Le Mage, 1891).

Dans une vaste salle moderne, dotée d’une large fosse, la vigoureuse direction musicale du chef japonais Motonori Kobayashi emporte les grands ensembles, où excellent les chœurs du Theater Dortmund, préparés par Fabio Mancini.

Dans un rôle au large ambitus, Aude Extrémo accomplit une prouesse. En Yamina, la cantatrice française sait alterner le lyrisme enjôleur et la violence de l’anathème. Sa diction assure la clarté du texte, qu’elle partage avec la mezzo russe Alisa Kolosova, Dara au grave somptueux, et la soprano coréenne Anna Sohn, Héléna lumineuse.

Si les protagonistes masculins sont moins intelligibles, il faut louer leur engagement vocal et dramatique. Le ténor russe Sergey Radchenko, Mirko héroïque, et le baryton sud-africain Mandla Mndebele, Aslar au volume impressionnant, campent des rivaux crédibles. Et la basse russo-bulgare Denis Velev possède le creux du Père Sava, malgré un français énigmatique.

Les thuriféraires de transpositions sans rapport avec l’action trouveront, peut-être, matière à blâmer : Emily Hehl, jeune metteuse en scène allemande, s’est astreinte, pour le connaître et le comprendre, à traduire le livret d’Augusta Holmès. Une heureuse innovation consiste à introduire un personnage récurrent, confié à Bojana Pekovic : une joueuse de guzla – instrument traditionnel unicorde des Balkans –, qui offre un fil conducteur aux différents tableaux.

Le décor unique, fait de panneaux gris mobiles et prolongé de projections symboliques, les costumes aux vives couleurs, comme les efficaces lumières, évitent les écueils du pittoresque et de l’emphase – comment ne pas apprécier la neige, qui se transforme en pluie de sang ?

À quand une reprise de La Montagne noire, en France, et un enregistrement, avec une distribution francophone homogène ?

PATRICE HENRIOT

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