Opéra-Théâtre, 12 janvier
Malgré la crise – difficultés financières, vacance actuelle de la direction – traversée par Clermont Auvergne Opéra, Die Entführung aus dem Serail, ouvrage programmé par Pierre Thirion-Vallet, qui devait, à l’origine, en assurer la mise en scène, a pu être maintenu, avec la distribution prévue, grâce à la mise en place d’une tournée de neuf dates, passant, jusqu’au 15 mars, par Poissy, Abbeville, Neuilly-sur-Seine, Montrouge et Saint-Quentin-en-Yvelines, à la suite de l’Opéra de Reims, son coproducteur.
Les contraintes budgétaires sont sensibles à travers le choix d’une version sans chœur, et d’un orchestre en formation restreinte, ainsi que le décor assez minimaliste d’Amélie Kiritzé-Topor. En fait de sérail et de palais, deux serres, un cabanon, des canapés et une corde à linge figurent le parc de la villa de Selim, devenu un riche gentleman, amateur de jardins et de régates en yacht.
Transposé dans les années 1950, le spectacle de Laurent Serrano est très lisible, grâce, aussi, à des dialogues, légèrement adaptés et écourtés, en français. Ne cherchons pas trop, ici, de vraisemblance – Belmonte entre et sort très facilement de la résidence, en escaladant la palissade, alors que l’évasion avec Pedrillo et les deux belles semble plus laborieuse ! –, ni d’exotisme, à part dans quelques costumes joliment colorés d’Anne Bothuon.
Et si certains airs de grande virtuosité, tels « Ach, ich liebte » ou « Martern aller Arten », se muent en airs de concert, on admire, le plus souvent, le rythme imprimé à la soirée, avec des déplacements réglés comme des chorégraphies. Sans oublier un humour très présent, jusqu’à cet étonnant épilogue, dont nous ne dévoilerons pas la teneur, rajouté sur fond d’Ouverture des Nozze di Figaro – une pirouette finale qui, pour amusante qu’elle soit, n’est, à notre avis, guère vraisemblable psychologiquement ou même… médicalement parlant !
À cette vie sur le plateau répond la direction musicale, alerte et soignée, d’Adrien Ramon, qui sert le drame avec théâtralité et sensibilité, même si les cordes de l’Orchestre de l’Opéra de Reims sonnent un peu maigrelettes, face aux vents.
Le plateau est composé de chanteurs jeunes, essentiellement français, et débutant dans leurs rôles, à l’exception de Serenad Uyar, qui avait déjà interprété Konstanze, à Marseille, voici deux saisons. Si les guirlandes suraiguës, dans « Ach, ich liebte », trouvent la soprano trop prudente, elle sait tendre le noble cantabile de « Traurigkeit » avec émotion, et affronte, sans faillir, « Martern aller Arten », dont l’énergie dans les vocalises et la tenue au sommet de l’ambitus sont admirables.
Sans doute, son allemand, quoique parfaitement habité, manque-t-il un peu de mordant, comme d’exactitude, mais comment résister à cette si farouche héroïne, avec une chair dans le timbre qui nous change de tant de voix légères, distribuées dans le rôle ?
En comparaison, le Belmonte de Matthieu Justine paraît bien sage, dans un « O wie ängstlich » ni palpitant, ni fiévreux. Mais le musicien est scrupuleux : « Ich baue ganz », négocié sans problème, malgré sa tessiture tendue et ses périlleuses coloratures, prouve une technique solide. Il est, quand même, dommage que, dans leur duo du III, sa projection moindre le fasse disparaître face à sa partenaire.
Yan Bua incarne, en revanche, pleinement un Pedrillo attachant dans ses fanfaronnades et ses emportements. Son ténor léger, parfaitement émis, détaille avec poésie sa « Sérénade », tout en sachant montrer un mordant insoupçonné dans un « Frisch zum Kampfe ! » très enlevé. Caroline Jestaedt est une Blonde à l’aigu ravissant, mais à la justesse plus relative dans le médium, et dont le piquant est, pour le moment, davantage sensible à l’œil qu’à l’oreille.
Enfin, Mathieu Gourlet montre une voix longue, suffisamment agile pour assumer sauts de registres, coloratures et trilles, tout en en campant un Osmin inhabituellement séduisant, colérique, mais sincèrement amoureux de Blonde, pour un portrait plus sympathique qu’effrayant. Quant au comédien Guillaume Laloux, son Selim se montre un peu trop mondain pour vraiment intéresser.
Joli coup d’envoi de la saison, pour un spectacle que Laurent Serrano a voulu « joyeux, léger et drôle », sans en nier, pour autant, le message de liberté. Celle des corps, comme des cœurs.
THIERRY GUYENNE