2024 sera puccinienne ou ne sera pas. Dans la ribambelle de commémorations diverses qui vont jalonner l’année – nos sociétés, de plus en plus déboussolées et anxieuses, en raffolent –, celle du centenaire de la disparition de l’auteur de La Bohème (1896) et Tosca (1900) occupera une place dans la programmation des théâtres lyriques.
Qui s’en plaindrait ? Compositeur de génie, Puccini continue d’éblouir les spectateurs du monde entier par son irrésistible inspiration mélodique et par la manière dont il a, constamment, su se renouveler. Manon Lescaut (1893) ne ressemble en rien à Turandot, son testament inachevé (1926), et un abîme sépare La fanciulla del West (1910) de La rondine (1917) qui, pourtant, se suivent dans la chronologie. J’enrage, d’ailleurs, de le voir encore rangé sous la bannière du vérisme, dans les programmes de salle comme dans les pochettes de disques, alors que ce courant esthétique est résolument marginal dans son œuvre.
Le problème, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, pour lui rendre hommage de façon originale. Puccini n’a laissé que dix opéras – douze, si l’on considère séparément les trois volets d’Il trittico (1918), souvent montés de manière autonome – et huit d’entre eux font partie du répertoire courant. On joue beaucoup moins le reste de sa production (musique pour piano, voix et piano, symphonique, de chambre, religieuse, mélodies), mais rien n’y relève du chef-d’œuvre et on voit mal comment monter un événement autour de son corpus de mélodies…
Certes, il y a ses deux premiers opéras : Le Villi (1884) et Edgar (1889). Ils sont beaucoup moins représentés que les autres, le second surtout, et cet anniversaire est l’occasion de les remettre sous les feux des projecteurs – j’ai repéré plusieurs productions jusqu’à l’été et un gros événement se prépare dans le sud de la France, pour la rentrée, dont je ne peux rien dire, les saisons 2024-2025 n’ayant pas encore été annoncées. Je m’en réjouis, bien sûr, car, si elles ont leurs faiblesses, comme la plupart des essais de jeunesse, ces deux partitions contiennent suffisamment de moments électrisants pour séduire les oreilles les plus sceptiques.
On l’a vu avec Verdi, un moyen éprouvé de rendre hommage à un compositeur d’opéra est, également, d’offrir les versions alternatives de ses titres les plus connus : I Lombardi/Jérusalem, Macbeth 1847/1865, Il trovatore/Le Trouvère, La forza del destino 1862/1869, Don Carlos/Don Carlo… Difficile chez Puccini car, pour les ouvrages concernés, les différences sont sans impact spectaculaire sur la perception de l’auditeur. Ainsi des deux moutures de Madama Butterfly (1904). Seule exception : le finale de Turandot par Luciano Berio (2001), qui n’a jamais trouvé sa place au répertoire.
Parmi les annniversaires, celui de la disparition de Fauré, mort en 1924, sera très suivi – le Palazzetto Bru Zane, notamment, lui consacre une belle part de sa programmation. Sauf que l’art lyrique ne peut y occuper qu’un espace résiduel, le compositeur ayant laissé un seul opéra : Pénélope (1913). Il y aurait davantage à faire avec Smetana, né en 1824, d’autant qu’à part La Fiancée vendue (1866), l’Europe, hors sphère tchèque et, dans une moindre mesure, germanique, néglige le reste de sa production opératique. Pour l’instant, en 2024, je n’ai pas vu Dalibor (1868) ou Libuse (1881) sur les affiches françaises, espagnoles, italiennes…
À titre personnel, la commémoration qui me motive le plus est celle du 250e anniversaire de la naissance de Spontini. Italien ayant débuté sa carrière dans son pays natal, avant de s’installer à Paris, puis à Berlin, ce musicien cosmopolite, symbole d’une Europe ouverte aux échanges culturels fructueux, mériterait d’être dignement honoré en cette année d’élections au Parlement de Strasbourg.
On attend, évidemment, avec impatience la nouvelle production de La Vestale (1807), à l’Opéra Bastille, en juin-juillet. Mais on espère d’autres initiatives dans l’Hexagone… Peut-être le retour de Milton (1804), premier succès parisien du compositeur, couplé avec Julie ou le Pot de fleurs (1805), autre « opéra-comique » en un acte, qui le suit de quatre mois dans la chronologie ? Redonner une chance à ces titres ne réclame pas, loin de là, le même déploiement de forces que La Vestale et semble à la portée de nombreux théâtres français.
En Italie, la dynamique Fondazione Pergolesi Spontini de Jesi, dans la région des Marches, s’est apparemment mise en quatre pour rendre hommage à l’enfant du pays (Maiolati, ville natale du compositeur, est à 17 kilomètres de Jesi). À l’heure où j’écris ces lignes, sa programmation n’a pas encore été dévoilée, mais cela ne saurait tarder. Est-elle parvenue à convaincre un théâtre en ayant les moyens de monter la monumentale Agnes von Hohenstaufen, dans sa version originale allemande (1829) ? Ce que l’on en connaît, dans sa médiocre adaptation italienne, donne vraiment envie d’aller plus loin.
Une chose est certaine : quoi que décident les maisons d’opéra, Opéra Magazine sera au rendez-vous de l’anniversaire Spontini, autant que de celui de Puccini.
RICHARD MARTET