Théâtre Equilibre, 5 janvier
Coproduite par l’Irish National Opera, où elle a été créée, à Dublin, en novembre 2022, et le Nouvel Opéra Fribourg, cette production de Guillaume Tell, signée par Julien Chavaz, ne pouvait trouver meilleur lieu d’accueil que la cité suisse, pour y faire résonner ses échos patriotiques. Pourtant, l’Helvétie du livret – à peine suggérée par une simple ligne de crête, à l’acte I – n’y est plus qu’un lointain souvenir.
Julien Chavaz a préféré voir dans l’œuvre son caractère légendaire, plutôt que sa dimension historique, et l’a traitée dans un registre au-delà de toute forme de réalisme. Le décor de Jamie Vartan, simple cadre de pilastres blancs, délimitant l’espace vide du plateau, renforce le caractère quasiment abstrait de sa lecture, se limitant à quelques éléments symboliques, pour suggérer les changements de tableaux. Les costumes intemporels de Severine Besson renforcent ce sentiment de neutralité, qui vise, bien sûr, à l’universalité.
Bien que le « Ballet » du III soit quelque peu écourté, l’élément chorégraphique tient une place importante dans cette vision, avec quatre danseuses, présentes dès l’Ouverture, qui en miment les différents mouvements dans des styles variés. Elles reviendront régulièrement, au fil de l’œuvre, évoquant la présence de la nature dans un étrange déguisement, qui les fait ressembler à des bouquetins à deux pattes, puis en victimes de la violence de Gesler, au IV.
Dans une sorte de vision rêvée et, par instants, cauchemardesque, c’est l’opposition entre le bien et le mal, la liberté et l’oppression, que semblent figurer ces étranges corbeaux, qui apparaissent dans les moments les plus dramatiques.
La distribution est entièrement renouvelée par rapport à celle de Dublin. Edwin Fardini incarne un Guillaume Tell ardent et sonore. La voix du jeune baryton français n’est pas très large, donnant souvent l’impression qu’il déclame le rôle plus qu’il ne le chante. Mais l’interprète compense largement par une splendide articulation et se révèle particulièrement émouvant, dans son grand air du III. Le mezzo chaleureux de l’Hedwige d’Eva Kroon et le délicat soprano de Roxane Choux, en Jemmy, sont de la même eau.
Du côté des basses, on saluera l’excellent Leuthold de Gyula Nagy, mais aussi Benjamin Schilperoort, d’abord Melcthal, puis Walter Furst. En revanche, Graeme Danby laisse, en Gesler, une impression mitigée d’inconfort dans la tessiture.
Avec un registre aigu d’une vaillance inépuisable, Jihoon Son ne fait qu’une bouchée d’Arnold. Mais, si le ténor coréen impressionne, on aimerait, parfois, un peu moins d’ostentation et plus de nuances – ce dont il se montre capable, du reste, notamment dans « Asile héréditaire ».
Grande voix large, avec une tendance à forcer les aigus, Rachel Croash ne paraît pas toujours très en règle avec l’écriture de Mathilde, réclamant une véritable technique belcantiste, comme dans son air du III. Mais la soprano irlandaise possède l’autorité pour s’imposer, au IV, face à Gesler.
Un excellent Ruodi, un Rodolphe de grand luxe, complètent un plateau très homogène, tandis que la clarté et l’homogénéité du Chœur du Nouvel Opéra Fribourg sont au-dessus de tout éloge.
À la tête de l’Orchestre de Chambre Fribourgeois, dont les pupitres solistes se révèlent de qualité, Fergus Sheil dirige une version qui privilégie la tension dramatique. Il ne manque aucun moment essentiel à la partition, et les quelque trois heures de la représentation, entracte compris, passent sans la moindre faiblesse.
ALFRED CARON