Opéras Platée dans le trou du souffleur à Zurich
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Platée dans le trou du souffleur à Zurich

08/01/2024
Mathias Vidal (Platée). © Toni Suter

Opernhaus, 12 décembre

L’Opernhaus de Zurich serait-il victime d’une sorte de loi des séries ? Alors que, cinq ans après une formidable production de L’incoronazione di Poppea, Calixto Bieito commettait, en décembre 2022, un épouvantable Eliogabalo de Cavalli, Jetske Mijnssen échoue à renouveler, dans Platée, le miracle de son Hippolyte et Aricie (voir O. M. n° 152 p. 69 de juillet-août 2019) – qui devait, certes, aussi beaucoup à Emmanuelle Haïm, à laquelle la metteuse en scène néerlandaise est de nouveau associée, par le désir commun de retravailler ensemble.

Sur le papier, l’idée-force de l’argument dramaturgique est, pourtant, excellente. La créature éponyme n’est plus, ni une nymphe des marais, ni, encore moins, une grenouille, non plus qu’une vieille femme nymphomane, et pas même de sexe féminin. Tel Monsieur Taupe dans Capriccio, Platée surgit, en effet, du trou du souffleur, fonction qu’il – donc – occupe dans un de ces théâtres des pays germanophones, dont l’activité couvre l’ensemble des arts de la scène.

Attachant ou pot de colle ? Le mauvais tour qui va lui être joué par ses collègues fait pencher la balance du deuxième côté. Comme en attestent les nombreuses affiches collées aux murs du réduit, qu’il occupe sous le plateau, Platée a un faible pour les danseurs. Et ne peut pas être insensible à Jupiter, étoile de la compagnie – et marié à Junon, que son accouchement récent, a fortiori de jumeaux, a rendue, très manifestement, encore plus jalouse que d’ordinaire.

Chaque personnage mythologique trouve sa place dans l’organigramme de ce « théâtre dans le théâtre » ; de la jeune ballerine au metteur en scène, en passant par le régisseur, le maître de ballet, le répétiteur, le chef de chœur, et la cohorte des choristes, danseurs et comédiens. Jusqu’à la Folie, transformée en terrible chorégraphe de l’intransigeante école russe, qui s’acharnera sur le malheureux Platée, vêtu d’un tutu blanc, persuadé qu’il est de pouvoir intégrer la distribution du Lac des cygnes – mais, aussi, que Jupiter est tombé sous son charme.

Voilà qui est encore plus cruel que dans l’intrigue originale, puisque l’objet de l’émoi du protagoniste est, a priori, doublement hors de sa portée – et que la situation exhale, peut-être, sous le masque de la farce (im)pitoyable, arboré par ceux qui l’ont fomentée, des relents d’une homophobie mesquine. Le retournement final n’en est que plus touchant, qui voit Jupiter demeuré seul, après que Junon a tourné les talons, étoile soudain descendue de son piédestal, se diriger, le regard amoureux, vers le modeste souffleur.

Quel dommage, dès lors, que ce spectacle ingénieux, souvent sensible, à l’esthétique soignée et séduisante, ne parvienne pas à trouver le rythme de la partition de Rameau ! C’est d’autant plus flagrant qu’il palpite constamment dans la fosse, où Emmanuelle Haïm ne ménage pas, à la tête des musiciens de La Scintilla, qui brillent moins par leur discipline collective que grâce à une foisonnante palette de couleurs, son énergie passionnée d’ambassadrice parmi les plus chevronnées du compositeur.

Un rêve, dès lors : que la cheffe française remette bientôt l’ouvrage sur le pupitre, avec son propre ensemble, Le Concert d’Astrée, et son complice, notamment pour de mémorables Boréades, à Dijon, Barrie Kosky. Mais, aussi, une distribution moins hétéroclite, malgré les efforts de chacun, sur le plan de la langue et du style – l’un étant indissociable de l’autre, dans ce répertoire.

Un rossinien comme Alasdair Kent n’est certes pas au désavantage de Thespis, mais le ténor de caractère de Nathan Haller sied peu à Mercure. En Momus, Theo Hoffman double son franc baryton d’un bagou appréciable, tandis qu’une indisposition annoncée avant la représentation prive, en effet, Renato Dolcini, Satyre et Cithéron au français toujours clair, de projection.

Si Junon semble un terrain de jeu trop peu développé pour l’instrument plantureux et le tempérament de Katia Ledoux, la Folie de Mary Bevan manque, à l’inverse, terriblement de caractère, qui donne l’impression de répéter, sans se les approprier, les accents grimaçants des natures authentiquement loufoques l’ayant précédée dans les vocalises ricanantes de « Aux langueurs d’Apollon ».

Il fallait, pour Jupiter, un interprète d’abord crédible en danseur au torse fréquemment exhibé. La plastique suffisamment avantageuse d’Evan Hughes ne l’empêche, cependant, pas d’être d’une raideur préjudiciable à l’esquisse du moindre mouvement. Et s’il chante convenablement, son baryton-basse manque d’éclat, dès qu’il s’éloigne un tant soit peu de l’avant-scène – soit la plupart du temps.

Mathias Vidal, enfin, dont l’élan irrépressible peut, parfois, manquer de variété dans les rôles de jeunes premiers ramistes, semble né pour incarner, silhouette frêle, mais présence débordante, et d’abord attachante, cette Platée au masculin. Diction limpide, timbre idoine, vélocité, endurance – il en faut plus qu’à aucun autre emploi de haute-contre –, le ténor français amuse, sans jamais en faire trop, ni même prêter à rire, autant qu’il émeut.

MEHDI MAHDAVI

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