Teatro Costanzi, 27 novembre
Alors que les principales maisons d’opéra d’Italie tentent, tant bien que mal, de maintenir le cap d’une certaine tradition sur le plan esthétique – l’arrivée de Stéphane Lissner, à la tête du Teatro di San Carlo de Naples, n’ayant changé la donne qu’à demi –, le Teatro dell’Opera de Rome peut, légitimement, se targuer d’être à l’avant-garde en la matière, puisqu’il accueille régulièrement, pour des nouvelles (co)productions ou des locations, les grands noms du théâtre lyrique contemporain : Barrie Kosky (Salome), Claus Guth (Jenufa) et Deborah Warner (Peter Grimes), rien que dans les prochains mois.
Sans oublier Simon Stone, habitué, notamment, du Festival de Salzbourg, où il a encore fait sensation, en août dernier, avec La Passion grecque de Martinu (voir O. M. n° 196 p. 75 d’octobre 2023), auquel revient l’honneur d’ouvrir la saison 2023-2024, avec Mefistofele.
Sauf que, exactement comme l’écrivait Richard Martet, à propos d’Alex Ollé, pilier de La Fura dels Baus, à qui l’Opéra de Lyon avait confié l’ouvrage de Boito, en octobre 2018, le metteur en scène australien ne sait, manifestement, pas quoi en faire.
Car, une fois gratté le vernis, très cosmétique, et moins inévitable que prévisible, d’actualisation, dont la responsabilité revient, d’abord, aux costumes de Mel Page, il faut se contenter, pour cette pièce hors norme, et très en avance sur son temps – a fortiori dans un paysage lyrique italien dominé, voire écrasé, depuis sa création, en 1868, jusqu’à celle de la version définitive, treize ans plus tard, par la figure de Verdi –, d’une illustration paresseuse.
La boîte immaculée, qui sert de base à la scénographie, certes modulable – mais pas assez pour éviter d’interminables précipités –, et dont la couleur variera ensuite, en teintes toujours plus ou moins pastel, au gré des scènes et de leur éclairage, sied au Prologue céleste. Jusqu’à l’arrivée, évidemment baignée de rouge, de Mefistofele, en survêtement argenté. Ce dernier réapparaîtra, au I, non en moine, mais en clown, puis, coiffé du fez à gland de Mussolini, pour une Nuit du Sabbat plutôt figée, avec porc égorgé et rituel censément satanique.
Au Jardin – ici, une piscine à balles, assez ludique, certes –, Faust et Margherita s’étaient, précédemment, échangé leurs numéros de téléphones portables. Et la vision de leurs ébats, derrière une vitre en plexiglas, rompt la nudité de la Prison, où la direction d’acteurs, fugacement plus poussée, peut-être, gagne en intensité.
Une colonnade de marbre blanc, ponctuée de transats en plastique, tout aussi blancs, plante le décor du Sabbat classique, avant de laisser la place aux canapés, fauteuils – roulants ou non – et au téléviseur de l’Ehpad, où Faust finit ses jours… Une telle inanité ne mériterait pas de s’insurger, si Mefistofele ne demeurait, malgré d’intermittents retours à l’affiche – témoignant de très relatifs regains de popularité ? –, une rareté.
Les forces musicales du Teatro dell’Opera lui rendent, à l’inverse, pleinement justice. Au pupitre, leur directeur, Michele Mariotti, trouve, ainsi, et avec quelle force de conviction, le juste équilibre entre emphase, pleinement assumée par Boito, et raffinement des textures et des lignes. Le chœur, surtout, se couvre de gloire, grisant jusqu’au délire, dans le débit frénétique du finale fugué du II.
Si Sofia Koberidze, en Marta, puis Pantalis, et Marco Miglietta, en Wagner, ont assez à chanter pour se faire remarquer, en bien, le succès du plateau vocal repose sur les trois protagonistes – puisque Maria Agresta cumule Margherita et Elena. Sans égaler les légendes d’un passé moins lointain que de plus en plus fantasmé, la soprano italienne y fait valoir la chaude lumière de son bon, et souvent beau lirico, bien que sa capacité d’allégement se heurte désormais à quelques duretés.
Entre sanglots et portamenti, Joshua Guerrero commence par donner quelques signes d’inquiétude. Un peu inexpressif, peut-être, parce que monochrome, le ténor américain prête, ensuite, à son premier Faust une émission homogène, un souffle long, un timbre latin, qu’il ne cherche pas un instant à assombrir, une tenue supérieure du phrasé, enfin, qui suffirait à le distinguer.
Lors de sa prise de rôle, à Lyon, John Relyea n’avait guère séduit Richard Martet. Vraie basse, assurément – ce qui n’est pas si fréquent, à une époque où les voix graves manquent souvent de longueur pour les emplois de premier plan –, rocailleuse, mais pas charbonneuse, ce Mefistofele a acquis, à des degrés divers dans ses apparences successives, et quoique sans déborder d’aura maléfique, de l’allure et du mordant.
MEHDI MAHDAVI