Palais Garnier, 2 décembre
Comment célébrer le 100e anniversaire de la naissance de Maria Callas (1923-1977), quand on est l’Opéra National de Paris ? Alexander Neef, son directeur général, a choisi la forme d’un gala, baptisé « Vissi d’arte », avec le concours de l’Arop (Association pour le Rayonnement de l’Opéra de Paris), gestionnaire exclusive des entrées.
Concepteur et metteur en scène du concert, Robert Carsen a visé large, mêlant témoignages photos et vidéos de la cantatrice, extraits parlés et chantés de la pièce Master Class de Terrence McNally, et airs d’opéras, interprétés par deux sopranos et une mezzo. Le tout dans un décor uniquement constitué d’un grand écran et de rideaux rouges coulissants, complétés par une table, une chaise et un piano, pour les master classes.
Esquivant le piège de la monotonie, l’alternance entre des séquences par définition radicalement différentes n’évite pas, en revanche, une certaine sensation d’éparpillement. Difficile, en effet, de rendre compte, en un peu moins de deux heures, de toutes les facettes d’un personnage aussi complexe que Maria Callas…
Un handicap compensé par la qualité du choix des témoignages d’époque : « Una voce poco fa » (Il barbiere di Siviglia) et « D’amor sull’ali rosee » (Il trovatore), tirés du légendaire gala du 19 décembre 1958, au Palais Garnier, hélas trop violemment colorisé (le bleu du fard à paupières !) ; extraits d’interviews avec Pierre Desgraupes, Bernard Gavoty, Lord Harewood, etc.
Était-il nécessaire de confier à la toujours merveilleuse Marie-Agnès Gillot, étoile de la maison, de 2004 à 2018, une chorégraphie pléonastique de l’air « Ebben ? Ne andro lontana » (La Wally), dans la version enregistrée par Maria Callas, en 1954 (Lyric & Coloratura Arias, EMI/Warner Classics) ? On est davantage sensible aux extraits de Master Class, joués avec sobriété par Carole Bouquet, et aux lettres lues par la même, fort bien choisies.
Côté chant, Kate Lindsey, avec la complicité de Florence Boissolle au piano, fait ce qu’elle peut dans Final Monologue from Master Class, mis en musique par Jake Heggie, en 2007, et créé, la même année, par Joyce DiDonato. Cette mélodie de six minutes, dépourvue de relief dramatique et harmonique, ne compte pas parmi les réussites du compositeur de Dead Man Walking.
Régulièrement fâchée avec la justesse, deux soirs plus tôt, en Olympia (Les Contes d’Hoffmann), à l’Opéra Bastille, Pretty Yende se montre bien plus en règle dans la cabalette de Violetta, au premier acte de La traviata (« Follie !… Sempre libera »), puis dans la cavatine d’Amina, au second de La sonnambula (« Ah ! non credea mirarti »). L’incarnation, en revanche, demeure pâlichonne.
Superbe dans ses deux robes (rouge, puis noire), Eve-Maud Hubeaux ne fait qu’une bouchée de la « Habanera » de Carmen, avec des accents séducteurs, mais jamais vulgaires, qui nous donnent envie de l’entendre dans l’opéra entier, par exemple dans une reprise de la production de Calixto Bieito, à l’Opéra Bastille. « O don fatale », l’air d’Eboli (Don Carlo), couronné de percutants si bémol aigus, la trouve en difficulté dans le grave, excessivement appuyé. Et puis, même si Maria Callas chantait cette page en italien, pourquoi ne pas avoir préféré l’original français (« Ô don fatal »), dans lequel, à Lyon comme à Genève, la mezzo franco-suisse sonnait plus à l’aise ?
Sondra Radvanovsky, enfin, avec quatre airs au lieu de deux, est la reine du gala. Elle aussi divinement habillée, dans des tons argent, puis panthère, noir, et enfin rouge, la soprano américano-canadienne délivre, d’abord, un fascinant « Casta diva » (Norma), hélas privé de son récitatif et des interventions du chœur (Maria Callas avait été mieux lotie, en 1958 !). Une fois encore, on admire la manière dont elle joue des aspérités de sa voix, pour conférer encore plus d’intensité à son chant.
Même chose pour l’air d’entrée de Lady Macbeth, cette fois avec récitatif (« Nel di della vittoria… Vieni, t’affretta »). La mort de Manon Lescaut (« Sola, perduta, abbandonata »), vécue avec une vérité et un désespoir qui clouent le spectateur dans son fauteuil, constitue, ensuite, le sommet de la soirée, avant un « Vissi d’arte » (Tosca), remarquablement phrasé, mais dans un style manquant toujours un peu de simplicité, qui rappelle celui de Zinka Milanov, jadis.
De bout en bout, la cheffe coréenne Eun Sun Kim, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, dirige avec ce qu’il faut de lyrisme, en triomphant des écueils inhérents à ce type de programme, où tous les styles musicaux se côtoient.
Un gala qui, si l’on en juge par les remarques entendues de la part des spectateurs, à la fin, aura, somme toute, parfaitement rempli son but : faire découvrir à un public qui ne la connaissait pas forcément, du moins sous tous ses angles, la personnalité d’une artiste hors norme.
RICHARD MARTET