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Jonathan Tetelman, Werther presque sauvage à Baden-Baden

12/12/2023
Jonathan Tetelman (Werther) et Kate Lindsey (Charlotte). © Andrea Kremper

Festspielhaus, 26 novembre

Double pari, en tête de l’affiche de ce Werther, donné pour deux soirées seulement au Festspielhaus de Baden-Baden, dans une nouvelle mise en scène signée Robert Carsen, en coproduction avec l’Opéra National de Paris.

D’abord, une vraie réussite, celle de Jonathan Tetelman. Le ténor américain avait déjà chanté le héros éponyme à Lima, mais s’y risque, pour la première fois, sur une scène d’envergure internationale, et nous réserve l’excellente surprise d’une remarquable distinction de la ligne vocale, et aussi d’une articulation française des plus décentes.

Et pourtant, son Werther peut se révéler, parfois, presque sauvage dans ses emportements romantiques, voire bouscule beaucoup de conventions, avec des aigus nourris, solaires, d’une énergie irradiante, et des assauts d’héroïsme particulièrement fougueux. Il faut s’habituer à autant de pugnacité, mais aucun grand moment ne déçoit, y compris un exaltant « Pourquoi me réveiller », tout en muscles, et certes terminé fortissimo, mais sans qu’on puisse vraiment s’en formaliser.

L’autre défi, beaucoup plus hasardeux, celui-là, n’est pas relevé : la Charlotte de Kate Lindsey. Prise de rôle, sans doute, trop hâtive, pour une artiste appréciée, jusqu’ici, dans des emplois plus légers. L’interprète affiche beaucoup de bonnes intentions, mais dès qu’il faut donner aux phrases un peu de substance, son mezzo s’étiole, faute d’un gabarit suffisant, avec une vilaine tendance à crier le texte, au lieu de le chanter.

Dans cette production très actualisée, cette Charlotte juvénile, silhouette fine et jupe de velours courte, s’accorde idéalement avec l’apparence de son partenaire, tout aussi crédible, avec ses allures de grand étudiant émotif, tantôt ébouriffé, tantôt recoiffé d’un revers de main, en jean, sweat à capuche et blouson de cuir.

Sur le plan vocal, en revanche, la disparité des moyens joue invariablement au détriment du personnage féminin, dont les déchirements sont beaucoup trop timidement esquissés. Toutes les confrontations directes s’en trouvent déséquilibrées, et même l’air « des lettres » et « Va ! laisse couler mes larmes » se remarquent à peine.

Aucun problème, à l’inverse, pour Elsa Benoit, qui possède encore toute la légèreté vocale requise pour Sophie. De plus, il s’agit de la seule vraie francophone de la distribution, ce qui s’entend bien, même si tout le monde fait de louables efforts pour se faire comprendre. Quant à Nikolai Zemlianskikh, il se tire honorablement, mais sans paraître vraiment marquant, de l’emploi ingrat d’Albert, avec un baryton un peu métallique.

Pas grand-chose à noter, non plus, en ce qui concerne le reste du plateau, petits rôles de composition, qui peinent, de toute façon, à s’intégrer dans un concept scénique délibérément expurgé de tout naturalisme naïf.

Apparemment, tant Albert que le Bailli, Johann et Schmidt appartiennent au personnel d’une énorme bibliothèque universitaire. À différents étages du dispositif, une vingtaine d’étudiants, garçons et filles – groupe dont Werther, au début, fait partie –, lisent un identique petit livre à couverture rouge : évidemment, Les Souffrances du jeune Werther de Goethe. Et si, ensuite, le rôle-titre se dégage effectivement de cette lecture, bien qu’en gardant encore, de temps à autre, son livre ouvert à la main, les autres y restent invariablement plongés, témoins muets de toute l’action.

Au dernier tableau, la bibliothèque n’est plus qu’un alignement vertigineux de rayonnages vides, et Werther agonise sur une montagne de livres, toujours en présence de tous ces jeunes gens, animés, à l’ultime fin, des mêmes pulsions suicidaires que le héros du roman qu’ils viennent de lire.

L’idée est jolie, mais n’échappe pas à une relative monotonie, sauvée surtout par l’engagement physique des deux protagonistes, et par une judicieuse dramatisation des éclairages, domaine où Robert Carsen a toujours excellé. L’autre problème occasionné par ce décor, visuellement assez beau, mais en rien une création – il s’agit, en fait, d’une réplique de l’aile moderne de la bibliothèque Anna Amalia (Herzogin Anna Amalia Bibliothek), à Weimar –, est qu’il ne renvoie pas suffisamment bien les voix vers la salle.

En fonction des emplacements occupés par les chanteurs, on risquerait de vraiment peiner à les entendre. Heureusement, la barrière sonore de la fosse n’est que relative, du fait des timbres adoucis et relativement sombres du Balthasar-Neumann-Orchester, dirigé avec une belle flexibilité par Thomas Hengelbrock.

LAURENT BARTHEL

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