Opéras Un Dimanche lumineux sur le tard à Paris
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Un Dimanche lumineux sur le tard à Paris

05/12/2023
Maxime Pascal (à droite). © Denis Allard

Cité de la Musique & Philharmonie, 16 & 20 novembre

Épopée lyrique tout à la fois visuelle, sonore et spirituelle, le cycle Licht, œuvre testamentaire déclinée en sept journées, qui occupa Stockhausen, à partir de 1977, pendant près de vingt-cinq ans, connaît une seconde vie, grâce au dynamisme du chef français Maxime Pascal et de l’ensemble Le Balcon, depuis la nouvelle production de Donnerstag aus Licht (Jeudi de lumière), donnée à l’Opéra-Comique, en novembre 2018 (voir O. M. n° 146 p. 51 de janvier 2019).

Cette quasi-utopie, monter la totalité de Licht – trente heures de musique ! –, devenait ainsi réalité, soutenue par plusieurs partenaires, entre autres l’Opéra de Lille, le Festival d’Automne et la Philharmonie de Paris, qui ont permis de monter trois autres journées : Samstag aus Licht (Samedi de lumière), à la Cité de la Musique, en juin 2019 (voir O. M. n° 153 p. 70 de septembre) ; Dienstag aus Licht (Mardi de lumière), à la Philharmonie de Paris, en octobre 2020 (voir O. M. n° 167 p. 48 de décembre) ; Freitag aus Licht (Vendredi de lumière), à l’Opéra de Lille, en novembre 2022 (voir O. M. n° 188 p. 50 de décembre-janvier 2022-2023).

Dirigé par Maxime Pascal, qui en assure, en outre, la mise en espace avec Ted Huffman, Sonntag aus Licht (Dimanche de lumière) se donne en deux soirées, la première, avec les scènes 1 et 2, à la Cité de la Musique, et la seconde, avec les scènes 3 à 5, à la Philharmonie, ainsi qu’à la Cité, la partition se déroulant sur une durée généreuse de plus de quatre heures, sans les entractes.

L’idée de spatialisation s’affirme davantage dans cet ultime volet, créé après le décès de son auteur, dans une mise en scène de Carlus Padrissa, de La Fura dels Baus, et une chorégraphie d’Athol Farmer, à Cologne, en 2011.

À Paris, la disposition du public et des musiciens respecte à la lettre le diagramme original, avec ses huit triangles orientés vers le centre de la salle. La rotation des sons projetés, les permutations des lumières, ainsi que le déplacement du chœur et des chanteurs solistes, se veulent en rapport avec le mouvement des planètes : « Les sons volent dans l’espace comme les étoiles dans le cosmos, et nous sommes dedans », selon Stockhausen – comme il était précisé dans le programme de salle  de Cologne.

C’est moins une structure dramatique qu’un rituel méditatif et répétitif d’accords soutenus, déployés à la manière d’une onde, qui parcourt  la scène 1, où se distinguent la soprano Michiko Takahashi et le ténor Hubert Mayer, appréciés, avant tout, pour leur exceptionnelle performance, en regard d’un texte plutôt puéril – peut-être le plus faible de tout Licht : une suite de mots, jetés sans queue ni tête !

La scène 2, confiée à quatre chanteurs solistes et un chœur a cappella, cultive un ensemble de polyphonies à deux voix, qui combine les thèmes – baptisés « formules » par Stockhausen – des deux protagonistes, Michael (« souverain de l’univers ») et Eva (« mère cosmique »). Ils convergent, peu à peu, vers une homophonie qui se clôt au milieu de la salle – le chiffre 7 déterminant le tout, de sept langues différentes à sept groupes d’anges, aux premières syllabes des jours de la semaine. Là encore, malgré le talent des interprètes et la plastique du spectacle, on reste dubitatif face à la faiblesse de la partition.

Quatre jours plus tard, le public prend le chemin de la Grande Salle de la Philharmonie, où l’attend un plateau d’un blanc immaculé, pour la scène 3. On y retrouve Hubert Mayer, dont la voix est doublée par la trompette (Henri Deléger), s’unissant par d’incessants entrelacs de gestes et de sons à Eva, dédoublée en deux instruments, flûte (Julie Brunet-Jailly) et cor de basset (Alice Caubit) – le compositeur jouant sur des effets de rapprochement et d’éloignement, tant vocaux qu’instrumentaux, renforcés et distordus par le filtre électronique du modulateur en anneau.

Le statisme répété des « formules », le prosaïsme du texte, la chorégraphie minimale sont, en partie, relevés par le fond de scène, avec ses images mouvantes de phénomènes naturels et de figures animales. Certes, le livret de Sonntag aus Licht offre peu de libertés visuelles, mais regrettons, tout de même, que Le Balcon ne se soit pas associé, cette fois, à Benjamin Lazar (Donnerstag), Damien Bigourdan et Nieto (Samstag et Dienstag), et Silvia Costa (Freitag), si inventifs.

La langue se désarticule en onomatopées, dans la scène 4, confiée à cinq chanteurs solistes, dont une voix de garçon, au finale, et un synthétiseur. Soit une suite de stations, qui n’est pas sans rappeler le découpage complexe de Gesang der Jünglinde, première œuvre électroacoustique majeure de Stockhausen, réalisée un demi-siècle plus tôt (1956).

À l’agitation vocale dans l’espace s’ajoutent la projection de dessins naïfs (de la main du compositeur) et la diffusion de senteurs, sur le plateau et par des appariteurs dans le public, symbolisant chaque jour de la semaine, afin « de rendre visible la musique » et créer des relations entre l’ouïe, la vue et l’odorat.

Sans conteste, la scène 5 demeure la plus aboutie de ce volet, avec le retour d’une écriture nourrie pour grand orchestre, isolé en cinq sextuors instrumentaux. Les sons se superposent et tournoient selon un procédé en spirale, un maelström dominé par les cuivres. Au-dessus apparaît bientôt l’image diffractée d’écrans géants, où se distingue un second groupe de musiciens, cinq sextuors choraux interprétant, en parallèle, la même partition, décalée de dix-huit secondes, à la Cité, dont la musique se mêle à l’orchestre à sept reprises, renforçant l’idée d’une vague qui traverse le temps et l’espace.

Un bouillonnement phénoménal, une effervescence acoustique d’une ampleur extraordinaire, sur une trentaine de minutes, suivis d’une pause, où le public est invité à échanger ses places avec celui de la Cité de la Musique, pour une reprise de cette même scène, cette fois face aux chœurs, avec, à l’inverse, la retransmission, en direct de la Philharmonie, de sept séquences des sextuors instrumentaux. Une prouesse technique bluffante, dont Le Balcon peut s’enorgueillir.

Prochains rendez-vous, cette fois annoncés, pour les deux dernières journées de Licht : Montag  aus Licht (Lundi de lumière), à l’automne 2025, et Mittwoch aus Licht (Mercredi de lumière), un an plus tard.

FRANCK MALLET

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