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Les Ailes du désir de l’écran à la scène lyrique à Quimper

30/11/2023
Marie-Laure Garnier (Damielle), à droite. ©Christophe Raynaud de Lage

Théâtre de Cornouaille, 14 novembre

Composer un opéra à partir d’une pièce de théâtre ne pose, a priori, aucun problème : on est toujours sur une scène, où évoluent des comédiens ou des chanteurs vivants. Passer d’un film à une partition lyrique implique, en revanche, une tout autre adaptation : le théâtre et l’opéra imposent une vue globale de la scène, là où le cinéma multiplie les types de plans et les mouvements de caméra. Une fois ces réflexions à l’esprit, on peut mieux apprécier Les Ailes du désir, création du compositeur français Othman Louati (né en 1988), inspirée du film éponyme réalisé, en 1987, par Wim Wenders – même s’il est, bien sûr, possible de voir la première sans connaître le second.

C’est le scénographe Johanny Bert qui a eu l’idée de cette adaptation, créée à Dunkerque, le 9 novembre 2023, et reprise à Quimper, cinq jours plus tard, en attendant d’être accueillie dans six autres théâtres, jusqu’en mai 2024, le tout à l’initiative de la structure de production La Co[opéra]tive.

Comme chez Wim Wenders, l’opéra met en scène deux anges, qui surplombent Berlin et considèrent d’en haut la vie des hommes, à ceci près que Damiel est, ici, devenu Damielle. Et s’il suit à peu près la narration du film, le personnage joué par Peter Falk a disparu, ainsi que le rocker Nick Cave, dont les apparitions sont remplacées par une séquence rythmique étrangement ralentie.

Othman Louati s’est, bien sûr, entièrement affranchi de la musique originale. Confiée à l’ensemble Miroirs Étendus, qui réunit treize instrumentistes, sa partition est faite de longues tenues de cordes, et sollicite beaucoup les percussions miroitantes, les cloches, et surtout les vents.

Le cor est appelé à faire vibrer le son ; la clarinette et le hautbois dialoguent dans un duo farouche. La clarinette basse se lance dans un long ostinato, obligeant le hautboïste à battre la mesure afin, à cet endroit précis, de laisser Fiona Monbet se concentrer sur le délicat équilibre entre la fosse et le plateau.

Chargée de la direction musicale, cette dernière s’acquitte de cette tâche avec brio, même si le paysage sonore est perturbé par des éléments enregistrés (bruits de ville…), et par une amplification des voix chantées, brouillant le duo entre Damielle et Marion, la jeune trapéziste qui pousse l’ange à devenir mortelle à ses côtés.

Quant au livret de Gwendoline Soublin, essentiellement en français, avec quelques phrases en allemand, on peut le trouver touffu, et parfois abscons. Le film de Wim Wenders a quelque chose de contemplatif, et il était difficile d’en retrouver le caractère littéralement planant sur les planches : c’est là que le glissement d’un genre à l’autre s’avère délicat.

Le spectacle, en revanche, est une merveille. Grégory Voillemet a réussi à se détacher de l’ambiance pourtant très prenante du film, où la couleur alterne avec le noir et blanc, et à imaginer une mise en scène entièrement théâtrale. Réduite au minimum (une tour métallique, un mur sur lequel s’exprime un graffeur, quelques rideaux), la scénographie de Johanny Bert est utilisée avec beaucoup d’intelligence, et des lumières en contre-jour ajoutent une dimension onirique à la poésie des images.

Damielle et Cassiel sont bien des anges, avec des ailes dans le dos, mais ils n’ont pas vraiment le premier rôle. On les voit souvent déambuler, sans rien dire, ni chanter, entre les humains. Ceux-ci sont représentés par des marionnettes, signées Amélie Madeline, que six manipulateurs habillés de noir font évoluer avec beaucoup de grâce. La Mère, l’Enfant, le Vieux Rescapé, Marion, etc. – qui retrouvent, à la fin, leurs corps d’humains à part entière – composent ainsi un monde en soi.

Les voix des chanteurs ne sont pas mises en valeur pour leurs qualités propres, mais pour la manière dont elles se prêtent au murmure, au récitatif intime, et à une déclamation plus contrôlée que réellement lyrique. Aux côtés de la soprano Shigeko Hata, de la mezzo Mathilde Ortscheidt, du ténor Benoît Rameau et du baryton-basse Ronan Nédélec, seule Camille Merckx, au beau timbre d’alto, conserve son individualité en Marion, notamment dans son duo avec Damielle, évoqué plus haut.

Dans ce dernier rôle, on est frustré d’entendre assez peu le soprano fruité de Marie-Laure Garnier, à laquelle Othman Louati a accordé quelques moments d’un bel envol. Mais, sans doute, les longs moments d’observation que se réservent les anges en sont-ils le prix.

Le baryton Romain Dayez, ange jusqu’au bout – et qui devient, alors, marionnette à son tour –, lui donne la réplique avec une sobre autorité, dans cet opéra où l’on entend le riche écho d’un film qui, lui-même, n’était autre que le reflet rêvé d’une ville.

CHRISTIAN WASSELIN

Prochaines représentations à l’Opéra de Dijon, les 10 et 11 janvier, au Théâtre Ledoux, à Besançon, le 18 janvier, au Théâtre Impérial de Compiègne, le 25 janvier, au Théâtre Graslin, à Nantes, les 6 et 7 mai, à l’Opéra de Rennes, les 14, 15, 17 et 18 mai, et à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, le 24 mai.

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