Théâtre, 11 novembre
La production de Jean-Louis Martinoty, pour la résurrection de David et Jonathas (Paris, 1688), à l’Opéra de Lyon, en 1981, avait fait date, par sa remise en contexte historique, explicitant, à l’aide d’une exégèse poussée, les tenants et les aboutissants, tout à fait à part, de cette œuvre commandée par le collège jésuite Louis-le-Grand, à des fins éducatives. À partir de là, deux possibilités : l’actualisation, telle qu’on l’a vue au Festival d’Aix-en-Provence, en 2012, avec Andreas Homoki, pour un piètre résultat. Ou l’effort d’évocation des conditions de la création, dont Marshall Pynkoski a donné l’exemple, la saison dernière, à la Chapelle Royale de Versailles (voir O. M. n° 189 p. 83 de février 2023).
C’est la première voie que semblait avoir choisie le metteur en scène Jean Bellorini, d’après ses déclarations : « Dépasser l’intrigue initiale », pour faire résonner « l’écho des conflits religieux, politiques et ethniques qui embrasent le monde encore aujourd’hui » ; centrage sur la figure de Saül, supposé fou et amnésique, qu’escorte le personnage ajouté d’une « Reine des oubliés », l’accompagnant dans sa quête de mémoire ; et retour à l’alternance entre parlé et chanté de la « tragédie biblique » d’origine, avec un nouveau texte de l’écrivain Wilfried N’Sondé, pour « reconstituer la partie théâtrale manquante ».
Sur ce dernier point, on a été vite rassuré, quelques sobres paroles, données en voix « off », n’intervenant que très ponctuellement, et sans excès de moralisation, de même que les brèves interventions de la comédienne Hélène Patarot en « Reine des oubliés ». Sur le second, l’heureuse surprise est venue, d’emblée, avec l’efficace et ingénieux dispositif scénique : Saül dans sa chambre d’hôpital, à l’extrémité d’un long couloir vitré, placé sur une passerelle occupant toute la largeur du théâtre, et pouvant remonter dans les cintres pour libérer, sur le plateau, un vaste espace propice à de multiples apparitions variées – depuis la foule bariolée des victimes de tous temps et lieux, jusqu’à la saisissante image finale, inspirée de l’armée de terre cuite du mausolée de Xi’an.
La longue invocation de révolte et de désespoir de Saül, avec laquelle le livret démarre ex abrupto, prend alors tout son poids, parfaitement en situation (« Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? »). Comme le sera toute la suite, avec ce personnage servant aussi à évoquer, dans plus d’un tableau saisissant, les guerres qu’il a initiées, et leurs nombreuses et innocentes victimes.
Le ton est donné, qui correspond à celui, souvent tendu et violent, des récits de l’Ancien Testament, donnant corps et vie intense au peu d’action auquel se limite l’œuvre. Sans qu’on puisse, de fait, suivre une intrigue précise, le relief n’en est pas moins grand dans la caractérisation de ces trois figures symboliques, avec la haine féroce de Saül contre David, et l’irrésistible amour partagé de celui-ci pour Jonathas.
Les costumes assurent l’intemporalité, nous épargnant, aussi, par leur inventive variété, la redoutable uniformisation des tenues de combat d’aujourd’hui, comme la facilité de vidéos d’actualité. À l’arrivée, un spectacle fascinant, qui rend pleine justice, sans interventionnisme outrancier, à la géniale partition de Marc-Antoine Charpentier.
Le plateau, avec une belle direction d’acteurs, sert magnifiquement le propos. À commencer par le Saül du baryton Jean-Christophe Lanièce, sorte de prophète barbu et émacié, d’une énergie farouche inépuisable, souvent d’un pathétique grandiose. Le contraste est idéal avec le David du ténor Petr Nekoranec, ici dans un emploi de haute-contre, puissant et émouvant dès son splendide premier air, et le touchant Jonathas de la soprano Gwendoline Blondeel.
Le mezzo profond de Lucile Richardot donne tout son relief à l’éphémère figure de la Pythonisse, alors que la basse Alex Rosen, Achis moins exceptionnel, comme le baryton Étienne Bazola, qui force un peu le son en Joabel, ne déméritent pas. Et tous sont d’une parfaite élocution. Enfin, Sébastien Daucé, lui aussi d’une énergie irrépressible, fait sonner somptueusement son impeccable ensemble Correspondances.
On ne voudra pas manquer cette totale réussite, lors des reprises prévues à Nancy (Opéra National de Lorraine, du 14 au 18 janvier), Paris (Théâtre des Champs-Élysées, les 18 et 19 mars) et Luxembourg (Grand Théâtre de Luxembourg, les 26 et 28 avril), puis à Lille (Opéra), en décembre 2024.
FRANÇOIS LEHEL