Théâtre des Champs-Élysées, 16 novembre
Cinéaste sympathique et fort prisé du public, Cédric Klapisch s’est laissé tenter par la muse lyrique. Pour ses débuts à l’opéra, il a choisi une œuvre qui laisse un metteur en scène libre d’ouvrir grand les portes de son imagination, tant le sujet de Die Zauberflöte peut donner lieu à de multiples interprétations.
Sagement, le réalisateur français a pris le parti de la fidélité au livret, pour conter le parcours initiatique de Pamina et Tamino, tout en orientant le manichéisme de l’intrigue initiale vers des préoccupations contemporaines, en soulignant leur part d’ambiguïté : l’écologie – la Reine de la Nuit et ses tisanes ! – est-elle sans risque ? De même, le triomphe de la science, incarné par Sarastro, est-il sans danger ? À chacun d’y réfléchir, et de constater que, dans l’univers, rien n’est tout blanc ou tout noir.
Des propos qui peuvent toucher un vaste auditoire, d’autant que les dialogues allemands ont été traduits en français, et réécrits au goût du jour. Non sans quelques facilités langagières, qui font sourire plus qu’elles ne choquent – Pamina, demandant à Tamino s’il lui « fait la gueule », prouve que les princesses d’aujourd’hui ont leur franc-parler ! Et avec, comme dans certaines allusions au « genre » ou au « consentement », une touche de second degré bienvenue. Des textes que les chanteurs, francophones pour la plupart, maîtrisent sans problème, et disent avec la conviction de comédiens confirmés – il est vrai que la direction d’acteurs ne laisse rien au hasard.
Cette vision claire et précise, qui flirte gentiment avec le fantastique, est aussi celle de la scénographie. La forêt aux troncs d’arbres inquiétants, créée par Clémence Bezat, abrite les monstres et les animaux animés par Stéphane Blanquet ; le royaume de Sarastro, avec ses arcades géométriques et ses visions d’un futur peu chaleureux, est dû à l’inventivité de Niccolo Casas. Des tableaux efficaces, qui aboutissent à un spectacle de bon aloi, sans être révolutionnaire pour autant.
Une première pour Cédric Klapisch, mais aussi pour François-Xavier Roth, qui ne s’était jamais confronté à l’ultime « Singspiel » mozartien. Son orchestre, Les Siècles, utilise, ici, des copies d’instruments viennois et un diapason à 430 Hz, conformes à la pratique « historiquement informée ». On apprécie ses sonorités affûtées, un peu vertes parfois, sa vivacité. D’autant que le chef français aime les lignes claires, un discours que pimentent quelques ruptures de ton, ou de brèves ponctuations solistes, qui renforcent la théâtralité du discours sans l’alourdir. Son Mozart est franc, solide, généreux. Quant à l’excellent chœur Unikanti, issu de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, il ne mérite que des compliments.
Josef Wagner est un puissant Orateur, tandis que Judith van Wanroij, Isabelle Druet et Marion Lebègue forment un luxueux trio de Dames. Dommage que leur Reine, Aleksandra Olczyk, soit fâchée avec la justesse et la mesure.
Marc Mauillon campe un Monostatos aussi sadique que désopilant, et Jean Teitgen trouve, en Sarastro, un personnage à la mesure de son ampleur vocale. Que le virevoltant Papageno de Florent Karrer, baryton au chant incisif, se laisse vamper par la Papagena, à la voix saine et charnue, de Catherine Trottmann n’a rien d’étonnant.
L’affection de Regula Mühlemann pour cette musique est évidente. En témoignent une ligne soignée, une musicalité raffinée, une éloquence touchante. Sa Pamina trouve le partenaire espéré dans le Tamino de Cyrille Dubois : le timbre radieux, le phrasé élégant, la justesse du sentiment sont ceux d’un mozartien idéal.
Reprise, en décembre, au Théâtre Impérial de Compiègne, puis à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, cette coproduction poursuivra son chemin jusqu’à l’Opéra Nice Côte d’Azur, en janvier 2025. Elle a, également, été filmée par Cédric Klapisch lui-même. Nos vœux l’accompagnent.
MICHEL PAROUTY